Dans ma famille, les coloniaux n’avaient pas bonne presse : ils étaient considérés comme des profiteurs et des fainéants qui se faisaient facilement du pognon en exploitant les « nègres » (eh oui, à l’époque, on disait les nègres et ça ne posait problème à personne) ; ils avaient la vie facile, surtout les femmes qui avaient des boys ; lors de leurs congés, ils revenaient éclabousser les belges d’ici (qui, eux travaillaient dur !) en étalant leur opulence… et leur vie de rêve.
D’autre part, à l’école catholique, on nous bassinait avec la « noble mission civilisatrice » et le dévouement de nos missionnaires qui leur apprenaient à lire et cadeau suprême leur avaient apporté la vraie religion !
Et à ce sujet, il me revient un souvenir attendrissant : à l’instigation de l’Oeuvre de la Sainte Enfance, j’avais accepté de parrainer un petit « nègre » ; ça consistait en 2 choses : d’abord, il fallait donner un peu de sa tirelire, et puis, surtout, dire 3 « Je vous salue, Marie » par jour à l’intention de mon filleul ; je ne l’ai évidemment jamais rencontré et je ne me souviens même pas si je lui ai écrit !
Quelques mois avant l’indépendance, est arrivé à Esneux (où j’habitais à l’époque), un jeune congolais qui venait s’initier à la gestion administrative communale ; il faisait un stage de formation sur le tas dans la commune ; c’était ce que l’on appelait à l’époque un « évolué ». Il a été accueilli par la population avec sympathie et….curiosité : on se demandait comment fonctionnait un « nègre »…..
Je me demande si cette curiosité, même teintée de sympathie, n’avait pas quelque chose d’insultant pour le pauvre garçon ; on l’observait un peu comme un animal savant. Je me souviens encore de son nom ; je lui avais demandé un autographe que j’ai conservé pendant des années. On l’a retrouvé ensuite à un poste subalterne (secrétaire d’état ?) dans le gouvernement de Patrice Lumumba,
Qu’est-il devenu ensuite ? Je n’en ai jamais rien su !
Beaucoup plus tard et bien après l’indépendance, j’ai retrouvé dans mes collègues des anciens du Congo qui y avaient passé une bonne partie de leur carrière ; tous étaient marqués par cette expérience et en avaient gardé un souvenir émerveillé ; un point commun m’a frappé, même chez les plus idéalistes, ils ne pouvaient s’empêcher de considérer le « nègre » comme un grand enfant, plein de puérilité et d’innocence, incapable de se gouverner soi-même ; ils avaient de la tendresse pour lui et étaient conscients d’avoir considérablement amélioré ses conditions de vie, notamment du point de vue sanitaire. Ils n’étaient pas loin de le considérer comme un ingrat !
J‘ai beaucoup réfléchi et je crois avoir compris : le blanc a débarqué au Congo et a immédiatement pris la direction du pays ; l’indigène s’est retrouvé un citoyen de seconde zone dans son propre pays,
« Le blanc l’a dépossédé de son pays » et c’est là, me semble-t-il, le sens du fameux discours de Lumumba qui a fait scandale le 30 juin.