Je revois nettement ce grand coffre de camphrier, remarquablement sculpté, que mes parents entreposèrent dans ma chambre. Ma mère y déposa un manteau de fourrure et un élégant col de renard. J’admirais le travail du sculpteur sur ce bois noir et le mystère de cette forte odeur de camphre, prisonnière du coffre, m’intriguait. Ce cadeau nous fut offert par le cousin de mon père, parti au Congo avant la guerre.

Entreprenant, il s’engagea sans hésiter à quitter une vie banale d’employé d’administration pour une expérience exaltante et pleine de surprises, en compagnie de sa jeune femme.

A chaque retour, tous les trois ans, le couple ne manquait pas de nous rendre visite et de nous raconter par forces détails la vie au Congo. Très bavard, imbus de sa personne et sans aucune considération pour les indigènes, ce cousin de mon père émaillait ses récits par des remarques désobligeantes, méprisantes même, envers les serviteurs, les boys qui travaillaient pour lui. Sa femme, très coquette et frivole, se vantait d’avoir à son service trois boys. Ce qui impressionnait ma mère qui assumait seule les charges du ménage.

Au Congo, la femme du cousin avait une vie de princesse. Elle passait ses journées à se pomponner pour ensuite rivaliser avec d’autres épouses désoeuvrées autour de la piscine réservée exclusivement aux colons. Les conversations tournaient autour de papotages divers et des soucis occasionnés par les serviteurs.

A chaque retour en Belgique, le cousin ne manquait pas de mentionner le confort et la belle vie à la colonie, faisant des comparaisons avec son pays natal.

Enfant, je buvais ses paroles. Son train de vie était nettement supérieur au nôtre et les divers cadeaux qu’il ne manquait pas de ramener me mettait en joie. Cependant, après quelques phrases amusantes, il ne se privait pas de souligner la bêtise, l’ignorance, la fourberie de ses travailleurs. – un bon coup de pied au cul, ils ne comprennent que ça ! disait-il.

Cette mentalité de colon dominant exaspérait son auditoire qui percevait nettement que ces visites n’avaient pour but que de nous en mettre plein la vue, de se vanter, de se faire valoir en tant que responsable d’une immense plantation de café.

J’imaginais des territoires si vastes qu’on n’en voyait pas le bout, une végétation luxuriante, des oiseaux de toutes les couleurs. L’exotisme et la particularité de ce pays me faisaient rêver. Par contre les récits à propos des moustiques, des araignées, des cafards, des fourmis, les termites et autres insectes me rebutaient.

Je garde un souvenir très mitigé de la colonie et ses bienfaits. Mon père, à l’écoute des récits de son cousin, ne pouvait accepter que des hommes traitent d’autres hommes de cette manière. Il en parlait souvent, il nous apprenait à réfléchir.

Quand les premiers soldats noirs de la libération ont débarqué en Belgique, mon père eut la confirmation que certains colons belges, son cher cousin en particulier, avaient manqué une belle occasion de partage et d’espoir.

1 commentaire Répondre

  • Michèle Répondre

    un texte qui reflète certainement une mentalité répandue à l’époque ...

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