au temps du Zaïre, juillet 1981 ...

Pour ceux qui connaissent l’étonnante épopée de Stanley et son historique rencontre avec Levingstone, les noms de Boma, Matadi, Mbanza Ngungu, Lufu Toto ne sont pas étrangers. Cent et quatre ans plus tard me voici parti de Kinshasa vers Matadi, en compagnie de deux citoyens, l’un chauffeur, l’autre Ingénieur de la SNEl , Société Nationale d’Electricité. Pas de porteurs, pas de guêtres, pas de fusils. Mais une Peugeot 104 rouge. En parfait état selon l’agence de location Europcar … pour faire un tour en Afrique le nom est choisi ! Dure à démarrer, tirant à gauche, elle est cependant sobre et confortable. La précédente, blanche, roulait mieux mais l’embrayage peinait dans les montées. Le but de la randonnée : l’inspection de 11 postes HT (Haute Tension) 132 et 220 kilovolts et de deux centrales hydroélectriques Inga 1 et Inga2.

Saison sèche, donc pas de pluie. Et pourtant un ciel gris, bas. Pas de soleil si ce n’est le premier jour. Alors que je n’imaginais cette contrée que sous une chaleur moite, me voilà heureusement surpris. On dit le Zaïre sale, les citoyens voleurs, soudoyés, hostiles. Rien de tout cela : Kinshasa est propre, les citoyens affables, les militaires corrects, les policiers rares. Les ingénieurs sont compétents, bien au courant des problèmes et conscients des déficiences.

Visite des premiers postes Mutendi, Kisangulu, mais le chef de poste et son adjoint ne sont pas toujours à leur poste … « Mais justement chef, on venait de quitter, chef ». Du chef et du patron on en est gratifié tous les cinq mots. Les gosses sont toujours rieurs et chaleureux pour acclamer et sourire au « musungu » (au blanc). Vers onze heures on passe par Mbaza Ngungu, l’ancienne Thysville. En traversant l’Inkisi sur un nouveau pont, je pense qu’il y a vingt et un an, André Ryckmans et Kervyn y laissaient leurs vies, tués par des rebelles.

Kisantu, Mbanza Ngungu, nous quittons la grand route, Lufu Toto , ancienne cité du chemin de fer. Tout à coup ce sont de belles et larges allées bordées de grands arbres formant ombrage. Gare importante. Il reste les villas. Le poste HT n’est pas très au point. Plutôt délabré et le jeune wattman ne sait pas très bien ce qu’il y fait. Nous poursuivons par un chemin de brousse. Nous voici dans les élevages de J.V.C personnage célèbre à présent décédé et dont les fils se partagent les terres et les milliers de têtes de bétail. Mais le but est de poursuivre pour arriver à Kwilu Ngongo, autrefois Moerbeke Kwilu, vastes plantations de cannes à sucre et d’une usine produisant 40 mille tonnes de sucre par an. Six mille Zaïrois et trente belges y travaillent. Quinze mille hectare ; horaire de travail : de 6 à 8h ; de 8h30 à 12 ; de 13 à 18h ; samedi matin et dimanche compris pendant les six mois de la campagne sucrière. Un hôpital, quatre médecins zaïrois, des écoles, des magasins. Le tout s’étend sur 50km. Une organisation autonome ! J’y rencontre Claude B, sa sœur et son mari Alain C. A Bruxelles je connais bien Paul B qui lui-même a passé une partie de son enfance dans ces plantations. Très vite des liens se tissent. Alain est passé, comme moi, par le collège St Boniface et a eu les mêmes professeurs que moi. L’abbé Besançon, mon premier prof à St Boni a célébré leur mariage et a baptisé, en Belgique, il y a un mois, leur première fille. Quant à Claude il a suivi son parcours scolaire au Collège St Hubert où j’ai été chef de la troupe scoute. Soirée d’antan… sous une paillotte avec Claude et le citoyen Botuwa, mon collègue de la SNEl. Un peu du Congo de papa ressurgit. Je ne savais pas que cela existait encore.

Le lendemain matin, visite de l’usine ou deux superbes machines à vapeur de 1925 broient la canne. Sirop brun, maintes fois traité, neutralisé, filtré, chauffé, séché, sulfuré … en sort le sucre blanc, la cassonade, l’alcool, le CO2 … Trois cents tonnes de sucre par jour. Ensuite, moment d’émotion, je demande de pouvoir aller me recueillir sur la tombe de Charles C , un condisciple de l’ECAM (Ecole Centrale des Arts et Métiers). Quelques mois après son arrivée, en novembre 1962, il avait été écrasé par un véhicule dans le cadre de son travail. Du Katanga je lui avais envoyé une lettre en fin d’année et elle m’était revenue avec la mention « décédé ». Je n’y pris attention pensant qu’il s’agissait d’une erreur de la poste. Je me rappelle particulièrement bien de notre banquet de fin d’études. Il était assis à mes côtés. Je connaissais aussi sa sœur Miquette. Ce n’est que bien des années plus tard que je la rencontrai et lui rappelai ce douloureux souvenir.

Le samedi matin, nous voilà repartis sur les routes poussiéreuses. Arrêts à deux cimenteries pour visite des installations électriques puis à Kwilu, important nœud d’interconnexion du réseau électrique Haute Tension. A 20km de là et 90km avant Matadi, le voyant rouge « batterie » s’allume au tableau de bord. Courroie cassée. Une Ford Escort emmène le Citoyen Botuwa à 140km/h vers Matadi. Il faudra cependant 3h30 pour qu’il revienne en taxi avec un mécanicien à la tombée du jour. Il est 18h15. L’après-midi s’est passée à l’ombre d’un arbre ou sommeillant dans la voiture. Toujours au bord de la route là ou quinze mamas, enfant sur le dos, devant de grandes bassines de foufou (manioc) attendent les automobilistes … A chaque arrêt de véhicule, elles chargent leurs bassines sur la tête, se précipitent et palabrent le prix … Plus l’acheteur est aisé plus la discussion est âpre.

Nous atteignons Matadi à huit heures du soir. Hôtel Métropole, haute bâtisse en pierre de style espagnol, à patio intérieur triangulaire, à la végétation abondante. On pourrait se croire à Barcelone. Souper au 5°étage puis tour de la ville jusqu’à atteindre le sommet de la colline d’où la vue s’étend sur toute la ville.

Dimanche, visite du poste HT, puis à midi arrivée au bac pour traverser le fleuve. Mais le bac officiel ne passe qu’à 15h. La SNEl est prévenue et à 13h nous embarquons. La foule se précipite, trop heureuse de gagner deux heures. Trois autres véhicules se joignent à nous. Les quatre hélices sont actionnées et nous voilà remontant le fleuve, luttant contre le courant. Le bac … Afrique de grand-papa … mais pas de demain car les japonais à quelques kilomètres de là s’affairent à construire un superbe pont métallique avec la société belge Auxeltra-béton. Il sera le plus long d’Afrique et le premier à traverser le fleuve Congo.

Rive droite du fleuve, on atteint bien vite le Mayombe, superbe forêt tropicale aux arbres élancés. Sur la route, près des villages, des chasseurs attirent notre attention pour vendre du gibier : notre chauffeur s’arrête maintes fois mais ne parvient pas à faire baisser les prix. De guerre lasse, il achète des animaux bizarres, écaillés, à longue queue et langue plus longue encore, apte à capturer moustiques et fourmis. Un peu effrayé, je vois mes compagnons entasser plusieurs de ces bestioles dans le coffre tout en m’assurant qu’à Inga on les mettra au congélateur.

Bome, petite ville du midi endormie sous la sieste tropicale et dominicale. Il est trois heures trente. Les horaires d’Europe sont respectés : trop tard pour les voyageurs affamés. Et c’est ainsi pour la énième fois nous nous abstenons de nous alimenter à midi. Nouveau travail au poste HT. Dans le port de Matadi, le Fabiola mouille, attendant lundi pour accoster. Que dira Baudouin de savoir Fabi en Afrique ? Nous allons souper au Ciné Palace avec le chef de secteur, le chef de poste et le financier, sérieux dans son rôle, armé de son attaché-case. Il faut dire que par dévaluations successives, le franc belge qui valait 0.01 Zaïre (ou 1Z pour 100 fb) en vaut à présent 0.3Z soit 30 fois plus. Les billets sont de 1, 5 ou 10 Z. Imaginez quand il faut payer une note d’hôtel de 3000Z en billets de 5, cela fait six cents billets Pour un repas un peu officiel, il faut donc l’attaché-case ! Dernièrement il a fallu enfermer 250 mille Z dans une malle métallique : ils étaient deux pour parvenir à fermer le couvercle ! A Kwilu N’Gongo 6000 ouvriers à 200Z, cela fait des centaines de milliers de billets à compter et à distribuer. L’avion doit faire plusieurs fois Kin-Kwilu par quinzaine pour stocker les Zaïres. Je propose des billets de 1 Mobutu valant 100 Z. Il est vrai qu’après quelques années ce serait des Moburiens. Un des charmes de l’Afrique est cet humour inné qui jaillit à tout moment.

Lundi en route pour Inga. Mais la forêt du Mayombe reprend ses droits et voilà mes amis excités en voyant d’autres chasseurs : un trio armé de longs fusils de fabrication locale, rechargeable par le canon font leur affaire. Un singe encore chaud est joint comme un trophée.

INGA, c’est la démesure. Le fleuve Zaïre dévale en cascade. En cette saison sèche, les rochers sont apparents. Inga 2, immense centrale de 200m de long reste modeste dans l’immensité du site. Un dixième de la puissance installée est utilisée par la capitale et le Bas-Zaïre. On peut rêver : les Suisses avec Alu-Suisse 450 MW, les Hollandais avec une usine d’urée 103 MW, le Shaba à 1700km avec une ligne courant continu 500 Kilovolts en 1982 et une capacité de transport de 500 MW. Et il reste une possibilité de placer en Inga 3 : 54 groupes de 750 MW chacun, salle des machines de 1500m de long en arc de cercle, … en arc de siècle !!!

Deux jours sur les plateaux d’Inga. Depuis l’expo 58, où figurait au Pavillon du Congo, une maquette du site, j’en rêvais. Le rêve est là. Un vaste vitrail aux couleurs harmonieuses compose une fresque céleste dans ce monde de béton, d’acier, de puissance électrique. Poésie dans un monde d’électrons et de technique. Modestement j’ai contribué à ce défi en travaillant deux ans aux ACEC -Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi- à la méthodologie de montage des turbines, à la supervision des fabrications, à la conception d’outillages pour l’usinage sur site.

Le retour vers Kinshasa approche, nous chargeons tôt matin les bestioles congelées. Le singe prend place dans une boîte en carton sur le siège arrière gauche : un peu macabre un bras tendu du singe se dresse hors de la boîte. Nous parcourons environ cinquante kilomètres lorsqu’un cri d’effroi nous glace : le citoyen Botuwa a vu le bras du singe se replier sous l’effet de la chaleur et a cru un instant en sa résurrection. Nous en rions encore.

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