Ce mois de novembre de 1989, un événement historique a marqué ma vie : le « Rideau de fer » tombait. Le hasard m’avait amenée à Berlin juste avant la chute du mur…
Novembre 1989. Nous avons décidé de quitter Bruxelles pendant quelques jours, de partir à la découverte d’une ville riche en histoire. Depuis longtemps je souhaitais voir Berlin !
Au départ ce devait être une escapade culturelle.
Nous voilà partis, en train de nuit, traversant l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est. Vers une heure du matin, en cours de route, nous sommes soudainement réveillés par la Police des Frontières : contrôle d’identités, de passeports et autres documents de voyage. Après ce premier contact, froid et plein de suspicion à la frontière des deux Allemagne, notre train arrive à Berlin-Ouest.
Il est six heures du matin ; trop tôt pour descendre à l’hôtel que nous avions réservé.
Nous déposons nos sacs à la consigne et décidons de partir à la découverte de la ville en sautant dans le premier tram qui passe devant la gare, sans destination précise ! Avec, pour seul objectif, nous laisser conduire au gré du tram. Une bonne demi-heure plus tard, nous arrivons en bordure d’une forêt au sud de Berlin, dans une petite clairière. C’est le terminus. Une très belle journée d’automne s’annonce.
A notre surprise, nous constatons que nous sommes arrivés dans le secteur américain. Nous prenons le temps de nous rendre à pied jusqu’à un petit pavillon de chasse que nous apercevons au loin, puis de nous promener dans ce quartier, « américain » comme en attestaient quelques petites bannières étoilées. Pas un chat en ce début de week-end de la Toussaint. Pendant cette balade matinale, nous apercevons de grosses citrouilles à l’entrée de quelques maisons. Des citrouilles, témoins tranquilles d’un soir d’Halloween, tradition populaire américaine qui semble avoir été importée jusqu’à ce quartier de Berlin-Ouest.
Cette excursion improvisée, à l’aube de notre premier jour de voyage, nous rappelle que nous sommes en « Zone libre », mais entourés d’un mur de fer … Des images de la guerre froide et de la construction du mur (en 1961) nous reviennent à l’esprit.
Nous décidons de nous rendre au « Check Point Charly », l’un de ces postes-frontières qui permettaient le passage, au compte-gouttes, entre le secteur Ouest et le secteur Est. Le petit musée, situé juste à côté, nous impressionne. Là, sont exposés des objets, des photos et des récits de nombreux citoyens allemands qui avaient décidé de fuir l’Est pour se rendre en zone libre, seuls ou en famille. Certains avaient réussi dans leur tentative d’évasion, d’autres y avaient laissé leur vie. Ce sont des témoignages tragiques ou rocambolesques, des destins de familles séparées ou divisées.
Nous décidons alors de changer le programme de notre voyage et de nous rendre à Berlin-Est. Après avoir acheté un visa d’un jour qui nous permet d’y aller, nous partons en métro le lendemain avec l’objectif premier de visiter « l’île aux Musées » le long de la rivière Spree. Mais les choses ne se passent pas comme nous le souhaitions. Car, dès notre arrivée sur le quai, en sous-sol, nous devons attendre l’autorisation de sortir de la bouche du métro. Nous sentons qu’il y a un peu de flottement dans l’air, un peu de tension aussi. Après trois longues heures d’attente debout, nous sommes, avec tous les voyageurs de la rame, refoulés, sans explication, vers Berlin-Ouest. Nous savions bien sûr que des mouvements de contestation se déroulaient de l’autre côté du « Rideau de fer » depuis plusieurs mois, et dans de nombreuses villes de l’Allemagne de l’Est. Mais nous ne savions pas que les événements se précipitaient.
De retour en zone libre, un peu dépités, nous décidons de racheter un visa d’un jour pour visiter le secteur de Berlin-Est dès le lendemain, tôt dans la matinée. Cette fois, nous réussissons à passer les contrôles sans difficulté.
La matinée est froide et grise et les rues bizarrement vides. Sans doute est-ce dû à l’heure très matinale du samedi. Et sans nous attarder, nous nous dirigeons vers le quartier des musées, car nous tenions à voir la collection d’art byzantin du Bode-Museum ainsi que la collection d’antiquités du musée de Pergame et sa magnifique porte d’Ishtar (Babylone).
En chemin, nous sommes étonnés de croiser deux très jeunes soldats en uniforme. Accoudés nonchalamment au bastingage du pont de la rivière Sprée, ils semblent attendre, comme dépassés par des événements, comme étrangers à ce qui se passe autour d’eux. Plus tard, nous comprendrons la raison de cette impression de « flottement ».
La visite des deux musées nous surprend aussi. Il n’y a quasi aucun touriste, seul un très discret fonctionnaire à l’entrée, comme abandonné de tous…
Deux heures plus tard, poursuivant notre visite de la ville, nous arrivons à proximité de l’Alexanderplatz. Les rues sont toujours vides et l’atmosphère toujours aussi étrange. Nous apercevons soudain au détour d’une rue, une énorme foule en marche et comprenons que des bouleversements sont proches. Nous voici au milieu d’une marée humaine, une longue vague de fond, d’hommes et de femmes, des représentants de l’opposition, des dissidents, des groupes défendant les Droits de l’Homme, des personnes âgées, des familles, de nombreuses familles avec enfants, brandissant des slogans et des pancartes « Wir sind das Volk“ (« Nous sommes le peuple »). Des milliers de manifestants défilent sous nos yeux, sur des kilomètres, réclamant libertés et réformes politiques.
Ce jour restera pour moi un souvenir fort et émouvant d’un monde qui basculait...
A notre retour à Bruxelles, nous apprenons qu’un million (!) de marcheurs a participé à cette dernière manifestation. Le « Rideau de fer » se fissurait… Cinq jours plus tard, le 9 novembre, la chute du mur marquait la fin d’un monde divisé en deux camps.