J’ai fait mes études de puéricultrice entre 1964 et 1966 et mes stages dans une pouponnière tenue par des religieuses qui accueillaient et accueillent encore aujourd’hui des enfants abandonnés ou retirés à leurs parents pour maltraitance ou autres problèmes. Les études étaient rythmées par deux mois de cours, deux mois de stage et l’obligation d’effectuer 2000 heures de stage minimum en plus de la réussite des examens pour obtenir le diplôme. Les enfants étaient répartis par tranches d’âge et nous effectuions un temps de service dans chaque section, plus celui à la biberonnerie et en quarantaine.
A travers mes carnets de stage que je viens de relire et mon parcours, se dessine cette énorme évolution de la psychologie infantile depuis cinquante ans.
En 1965, pour la première fois dans cette école : un cours de psychologie de l’enfant !
Dans le carnet de stage, certaines annotations ou remarques de la monitrice me semblent aujourd’hui tout-à-fait dépassées ou par contre me dérangent par leur absence.Par exemple, je parle dans "observations" d’un petit Louis qui a très difficile pour s’endormir, dérangeant ses voisins de lit et pour qui une fessée est une bonne manière de le calmer ! D’abord, je sursaute en relisant ces mots ensuite je cherche, en vain, un point d’exclamation, un soulignage en rouge qui montrerait la réaction de la monitrice : RIEN !
Ensuite, je pense à la section "quarantaine "qui est la section où on accueille les enfants à leur arrivée. Ils viennent d’être retirés à leur mère ou à leurs parents par décision du juge et ils vont devoir passer quarante jours seuls dans un box vitré dans lequel nous entrons dix-douze fois par jour pendant cinq-dix minutes pour les différents soins et repas …
D’accord, cette mesure est prise pour éviter à cinquante enfants d’attraper la rougeole ou la rubéole que le petit nouveau pourrait leur transmettre, mais quid des dégâts affectifs faits à cet enfant, d’abord par la séparation parentale, quelle que soit la manière dont les parents agissent. En plus, quelle souffrance que cette longue période de solitude !
Je n’avais pas à cette époque l’oeil aussi attentif qu’aujourd’hui aux messages de l’enfant et je le regrette.
Mais aussi étonnant que cela puisse paraitre, le climat général était bienveillant pour l’enfant, compte tenu des connaissances de l’époque. J’ai l’impression de parler du Moyen-Age …
En 1970, mon diplôme en poche, je commence à travailler dans une grosse crèche communale à Forest qui, comme toutes les crèches francophones, dépend de l’O.N.E. Là, je découvre le hall où les parents déshabillent entièrement le petit, le déposent sur un espèce de passe-plat où sa température est prise avant qu’il ne soit accepté et inscrit dans le registre des présences. Attention, si plus de 38° : interdiction de le prendre et obligation d’un certificat médical pour le retour. Ensuite, bain complet et habillage avec des vêtements de la crèche avant de pouvoir aller jouer ou être mis au lit suivant les âges. Et bien sûr, les séances sur le petit pot à la queue leu-leu. Même scénario dans l’autre sens quand la maman vient le chercher : déshabillage, passage par le "passe-plat", ré-habillage de l’autre côté. Là, il échappe quand même au thermomètre !
La directrice est une vieille fille un peu, beaucoup "gendarme" et tout le monde doit marcher à la baguette : les parents, le personnel, et les enfants ... L’ambiance est pénible, tout le monde serre les dents ; les parents parce qu’ils savent que les places en crèche ne sont pas faciles à obtenir et parce qu’ils craignent que les enfants écopent s’ils ne montrent pas profil bas ; les puéricultrices parce qu’il faut gagner sa vie, c’est aussi prosaïque que cela ! Malheureusement, les enfants en souffrent aussi car certains adultes en profitent pour exercer leur force sous le prétexte "c’est pour son bien " ou "tout cela, ce sont des caprices ".
Une grande rotation du personnel s’en suit, ce qui n’arrange rien au climat ambiant. Dès que j’ai eu une opportunité, je suis partie en espérant ne plus revivre cela.
Me voici en 1975 dans une autre commune bruxelloise où s’ouvre la première crèche. Nous sommes six puéricultrices, sélectionnées par concours, jeunes, motivées, sous la houlette d’une infirmière guère plus âgée, toutes avec l’objectif de créer un endroit agréable à vivre autant pour les enfants que pour les parents mais aussi pour nous. On nous laisse pas mal de liberté et l’époque est propice au changement de regard sur les enfants : les femmes ont accès à une contraception fiable et choisissent quand elles souhaitent mettre un enfant au monde. Cela change la relation qu’elles ont à l’enfant. Bientôt, le discours de Françoise Dolto très novateur et diffusé sur les ondes va nous conforter dans une approche élargie de la notion "de crèche".
Premier changement : pas de guichet, pas de thermomètre à l’arrivée ! Ce qui n’empêche pas, si nous sentons l’enfant fiévreux ou grognon, de faire la vérification avec l’instrument ad hoc. Le bain obligatoire est aussi rapidement remplacé par le bain à la demande des parents : "je n’ai pas eu le temps hier soir " ou "le chauffe-eau est en panne ". Les longues attentes sur le petit pot sont supprimées et, étape suivante, les enfants peuvent garder les vêtements avec lesquels ils arrivent le matin ! Tout cela se fait petit à petit et dans la bonne humeur.
Si les mentalités ont évolué par rapport aux enfants, il faut tenir compte aussi du fait que la "clientèle " a aussi fort changé. De plus en plus de parents de milieux sociaux favorisés mettent leurs enfants en crèche, induisant des attentes différentes ...
Dernière avancée dont je voudrais parler, et qui est la conséquence des autres : le papa qui, auparavant, déposait son enfant comme un vulgaire paquet, commence à s’impliquer et devient, lui aussi, acteur à part entière.
La crèche s’adapte aux enfants et non pas l’inverse.Les parents y ont leur place et le dialogue prend toute son importance. Le respect me semble une qualité primordiale pour exercer cette profession car l’enfant est en position de fragilité et les rapports entre les différents acteurs passent par l’affectivité.
Je suis heureuse et fière d’avoir collaboré à cette formidable progression !
Lucienne E Répondre
Que d’évolution en 50 ans ! Heureusement. Vous aviez vraiment cette vocation dans le coeur et l’âme...les tout petits ont dû aimer !