Texte écrit dans le cadre du groupe de récit de vie "Je raconte une expérience marquante" à l’espace senior Van Artevelde, à Bruxelles-ville, 2017.
« Il n’y a pas de chemin vers la Paix, la Paix est le chemin. » M. Gandhi
Mes parents sont morts en un an. C’était en 1975. J’avais 25 ans. Pas un seul jour ne se passe sans que j’y repense. Hier, c’était le jour anniversaire de la mort de ma mère et aussi la fête des mères. C’est pour cela que j’ai envie de commencer par raconter cette histoire.
Née en 1949, je suis l’aînée d’une famille de 6 enfants. Notre famille est très aimante. Mes parents s’aiment d’un amour indéfectible. J’ai une jeunesse gaie et insouciante.
Dans les années 70, ma mère a un cancer, jamais opéré. Elle est condamnée ; mon père le sait et continue à travailler comme un fou … jusqu’à son troisième infarctus qui lui est fatal. Maman lui survit un an.
Quand ma mère est décédée, mon plus jeune frère a 13 ans ; je deviens sa tutrice. A l’époque, je suis mariée et j’ai déjà un fils. Je m’occupe de mon frère ; j’essaye de lui donner l’amour et l’attention qui lui ont été retirés. Il s’installe avec nous, je vais aux réunions de parents. Avec mes 26 ans, je fais un peu tache parmi les parents d’élèves de secondaire.
L’été approche. La famille du Brésil invite mon frère. Moi, je donne naissance à mon deuxième fils. Encore à la clinique, je reçois un courrier de mon frère m’annonçant qu’il reste au Brésil. Il a 15 ans. Je le laisse partir. Je m’en suis beaucoup voulu. Il m’a fallu 30 ans pour aller lui rendre visite au Brésil ! Je me sentais coupable.
La vie continue, la famille s’agrandit ; ma fille arrive. Je recommence à travailler. Mon mari et moi prenons des chemins différents ; nous ne nous comprenons plus jusqu’au moment où dans une totale folie, il décide de me supprimer. Après un divorce long et destructeur, je continue, seule à mener mes enfants vers l’âge adulte. Nous ne nous voyons plus ou très mal.
Bien des années après, je vais le voir à l’hôpital ; il a une maladie incurable. Sans l’exprimer, il veut que je le rejoigne dans son dernier combat. J’ai déjà pratiqué l’accompagnement des mourants mais avec des inconnus. Je me lance, sans hésitation dans ce défi, pour lui, pour nos enfants, pour moi. Nous nous retrouverons presque unis. Ma fille qui avait un an quand les difficultés ont débuté me dira qu’elle ne nous avait jamais vus ainsi et qu’elle a alors compris quel amour nous avait rapprochés avant sa naissance. Nous avons trouvé la paix intérieure que je voulais lui offrir avant son départ. Il en était si éloigné.
Je garde de ce pardon (que j’avais déjà fait à son égard) une immense richesse, une fierté ; c’est un des actes les plus importants de ma vie.
Aujourd’hui, je suis retraitée. Après tous ces remous, ma situation est précaire et non sans difficultés de taille mais je prends lentement du recul.
Maintenant, je pratique beaucoup dans la méditation. Je suis plus disponible pour les autres et sais que cette paix ne me quittera pas … je m’y attèle.
Lucienne E Répondre
difficile, dur et cependant magnifique votre récit de vie, Jeanne.
Sachant que l’inévitable est annoncé, il est très difficile à accepter. Et pourtant, si l’on fait ce cheminement, des moments merveilleux se profilent. Il n’y a de temps que pour l’essentiel. Un temps de sérénité, d’amour, de silences riches et chaleureux. Je l’ai vécu en 2015 à la mort de mon mari, pendant trois mois. Je ne regrette rien, au contraire. Le deuil fut plus doux. Ne restait que la tristesse, tout le reste avait été dit.