Texte écrit dans le cadre du groupe de récit de vie "Je raconte une expérience marquante" à l’espace senior Van Artevelde, à Bruxelles-ville, 2017.
Un souvenir marquant de mon enfance ? 1944, Scapoli, un petit village de campagne dans la région de Naples, mon village. Je vois un monsieur arriver. J’ai 4 ans et c’est la première fois que je vois mon père. Il veut que je l’appelle papa. Mais, moi, je ne veux pas, je ne connais pas ce monsieur, personne ne m’a rien expliqué. Il me donne une fessée pour que je l’appelle papa.
Quand la guerre a éclaté en 1939, il faisait son service militaire. Il a été fait prisonnier en Albanie. Et moi, je suis née en 1940, je ne me rappelais donc pas du tout de lui.
Des souvenirs de la guerre ? Je nous revois, avec ma mère, cachées dans les montagnes dans une grotte. Le ciel était posé sur les montagnes, je pensais qu’il n’y avait plus rien au-delà. C’était à l’époque du débarquement des Anglais et des Américains en Sicile.
Après la guerre, nous avons continué à vivre à Scapoli dans une ferme. Mon père est redevenu maçon et sculpteur de pierre. Moi, je m’occupais avec maman de la maison, des champs, de mes jeunes frères.
Vers 5, 6 heures du matin, j’étais debout. Je donnais à manger aux lapins, aux poules. De 9h30 à 12h, c’était l’heure de l’école. Ensuite, je faisais à manger pour la famille et m’occupais des chèvres, des moutons, des tomates, … On n’achetait rien, on faisait tout à la main : les pâtes, les lasagnes, les pizzas, … Une fois par semaine, on cuisait le pain dans un grand four à bois (le même que pour les pizzas). Je me souviens qu’un jour, à 14 ans, j’ai pour la première fois réussi à mettre le pain dans le four. J’étais très fière d’avoir réussi ! Mais on ne m’a pas félicitée. Jamais, nous n’étions félicités.
A 6 h du soir, on rentrait les moutons, les chèvres ; on les trayait. Et puis, on préparait à souper et on mangeait.
Si je jouais quand j’étais enfant ? C’est quoi ça jouer ? Je n’ai jamais eu de poupée, ni de jouet. Parfois, je rêvais … Je n’avais pas le temps d’étudier non plus. Après la 4e primaire, je n’ai plus été à l’école. Pour aller en 5e, j’aurais dû aller dans une école plus éloignée. Mon père n’a pas voulu : « Tu n’es pas un garçon. En tant que fille, ce qui est important c’est de savoir faire le ménage, d’éduquer les enfants et de t’occuper de ton mari. » J’étais vexée parce que mes copines continuaient l’école. Mes frères aussi ont poursuivi. Ma mère a même donné un terrain sur lequel a été construit une nouvelle école dans laquelle mes frères sont allés.
A 14 ans, j’étais formée. A cette époque, les filles se mariaient parfois à cet âge-là. Ma dot était faite ; je l’avais brodée et cousue moi-même. Je me souviens d’avoir fabriqué mon premier soutien avec une taie d’oreiller ! Plein de garçons me couraient derrière. J’ai eu des amoureux. Mais je n’aimais pas les ragots du village. A 16 ans, j’ai rejoint ma tante et mon oncle, glaciers à Liège, en Belgique.
D’un côté, j’ai l’impression d’avoir eu une enfance heureuse ; tout ça, cette vie, pour moi, c’était normal et puis, j’adorais bouger ! D’un autre côté, je n’ai pas vraiment eu d’enfance, ni de jeunesse.
JeannineK Répondre
beau récit de moments forts de l’enfance
mon mari , originaire de la Campanie, a vécu la guerre à Naples, les bombardements, la faim, la soif, les journées caché dans les grottes environnantes.
Son récit m’impressionnait, en particulier l’arrivée des américains. Le moment terrible où la population était obligée de se laisser asperger de DDT.
il me racontait toujours avec émotion les jeux de rue, des jeux pleins d’imagination faute de jouets.
Ces souvenirs étaient pour lui les plus joyeux, malgré toutes les difficultés de l’époque