Texte écrit dans le cadre du groupe de récit de vie "Je raconte une expérience marquante" à l’espace senior Van Artevelde, à Bruxelles-ville, 2017.
En 1970, lorsque j’avais 31 ans, je suis allé dans une petite maison de campagne près de la Baraque Fraiture. Le paysage était tout blanc de neige. J’ai vu deux personnes sur des skis se diriger vers le bois. Je me suis dit : « Cela m’amuserait de faire cela ! ». Mon père m’a offert une paire de skis et j’ai commencé à skier près de la petite maison, près de la Baraque Michel et puis dans les Vosges, le Jura, la Norvège, le lac Baïkal en Sibérie, la Laponie, le Canada, le Spitzberg, l’Alaska, le Groenland, …
Mais j’avais envie d’aller de plus en plus loin, dans des paysages de plus en plus sauvages. Mon paradis sur terre, c’est l’Artique ! J’y ai eu d’immenses plaisirs esthétiques. Tous les 2 ans, je partais avec des amis pour des expéditions de cent à deux cent kilomètres en ski de randonnée, souvent en autonomie. Tirer une pulka sur la neige avec toutes nos affaires, bivouaquer, se perdre, creuser une tranchée dans la neige pour y dormir. Tout ça au milieu de paysages splendides. Au début, le GPS était réservé aux militaires et en cas d’accident, nous ne disposions pas encore d’un téléphone-satellite mais d’une balise semblable à celles actionnées par les navigateurs qui tombent à l’eau.
Pourquoi j’ai fait tout ça ? Pas pour dire que je l’avais fait mais pour le plaisir, pour les paysages fantastiques et encore plus fantastiques quand on est isolé. Le fait d’être isolé enjolive les paysages, sublime les émotions. Un jour, j’ai été dans le Wadi Rum, le désert de Lawrence d’Arabie en Jordanie ; le paysage était très beau mais … Un peu plus loin, un groupe de bédouins baladait des touristes dans des 4x4 en jouant aux cow-boys. A 20 m de notre bivouac, au pied des falaises, se trouvait un petit terril de boîtes de conserves vides, d’emballages et d’autres déchets. Cela gâche tout !
Quand on part comme ça, on est toujours très occupé ; il faut être très concentré, une petite erreur peut coûter très cher quand il fait -40° : tu t’arrêtes pour boire ; tu oublies tes gants, ils s’envolent ! Une seule solution : prendre des bas et les enfiler autour de tes mains sinon tes doigts gèlent tout de suite, ils deviennent noirs et se gangrènent.
Un peu d’aventure donne beaucoup de « sel » à ce genre d’activité, on vit très intensément. Je me considère comme un sportif paresseux mais bien entraîné. J’ai horreur d’être fatigué ; j’essaye de doser mon effort. C’est un grand plaisir physique, presque sensuel.
Plus tard, je suis parti avec des plus jeunes, certains avaient presque l’âge de mes enfants. Une véritable cure de jouvence !
Cette passion a été au centre de ma vie ! Ma première femme disait que j’étais un adolescent attardé. J’ai, en effet, terminé ma jeunesse plus tardivement que la plupart de mes semblables. C’était en février 2012, à 73 ans sur le plateau du Vercors. Pendant cette dernière randonnée dans la neige et la tempête, je me suis épuisé, j’ai eu un malaise et mes amis ont dû appeler le 112. J’ai été rapatrié à l’hôpital de Grenoble. Maintenant je marche à du 3km/h.
L’adolescence est l’âge des projets. L’âge adulte, celui du bon équilibre entre projets et réalisations. La vieillesse est l’âge des souvenirs. Un des buts de ma présence ici est de fixer dans ma mémoire mes bons souvenirs. Je peux ainsi parler de ce que j’ai fait et donc un peu les revivre et transmettre peut-être ma passion !
Lucienne E Répondre
Je suis époustouflée par votre récit. quel aventurier ! Je ne peux qu’imaginer le plaisir ressenti devant tant de beaux paysages car, pour moi, à 0 degré, je gèle déjà !Merci pour ce partage. L.E.