Frido, d’origine allemande, vit à Francfort en 1968.
S’agissant de Mai 68, il se trouve que j’habitais pendant les années cruciales à Francfort, qui était avec Berlin un des hauts lieux de la révolte estudiantine en Allemagne. Daniel Cohn-Bendit (aujourd’hui député européen) et Joschka Fischer (entre 1998 et 2005 ministre allemand des affaires étrangères) avaient rassemblé leurs « troupes « à Francfort, dont l’université hébergeait le noyau intellectuel du mouvement avec des philosophes comme Theodor Adorno et Max Horkheimer, contemporains et amis de Jean Paul Sartre.
Habitant avec ma femme et deux petits enfants dans l’ouest de la ville nous ne pouvions pas mettre un pied dehors sans tomber ou bien sur des patrouilles de police à cheval ou bien des groupes de jeunes en révolte. Cela ne m’empêchait pas d’aller au travail ni ma femme de faire des courses et de promener les enfants. Contrairement à ce qu’il se passe aujourd’hui en face du terrorisme de tout genre, nous n’avions pas vraiment peur de ces mouvements mais les prenions plutôt pour une situation gênante.
Au travail j’avais un bureau qui surplombait le campus de l’université de Francfort. La ville n’était depuis la guerre pas encore reconstruite partout. Ainsi, il y avait devant les bâtiments assez vétustes de l’université un terrain vague sur lequel se passaient pendant des mois des manifestations, des « sit ins », des défilés qui bien sûr étaient surveillés par la police voire supprimés à force de matraques ou de lances d’eau. J’avais pour ainsi dire une place de loge pour ces évènements et mon travail n’a pas dû être très efficace pendant ces jours-là.
Comme pour la vie privée des habitants, les évènements n’avaient apparemment pas beaucoup d’influence sur la vie économique de la ville. Pas question de fermer des bureaux, d’évacuer du personnel ou de protéger certains bâtiments. Les gens et les entreprises regardaient tout cela avec curiosité, même avec un certain dégoût ; ils étaient ennuyés, pas plus.
Personnellement, j’étais également ennuyé, pas plus. Comme c’est l’habitude en Allemagne, on écrit sa thèse et passe son doctorat lorsqu’on travaille déjà professionnellement. Or dans la convocation à l’examen oral (appelé non sans raison le « rigorosum ») de docteur en droit j’étais prié de me présenter discrètement et « sans cravate » à la porte d’entrée pour fournisseurs de l’université, les entrées principales étant occupées par la police ou les piquets de grève des étudiants. Arrivé dans la salle des examens j’étais étonné de voir le doyen et les professeurs habillées comme moi en « pulls et chemises », un accoutrement sans doute rare en pareilles circonstances. Cela s’est d’ailleurs bien passé pour moi.
Mon récit est celui d’un « citoyen de base » et ne veut pas banaliser le mouvement de Mai 68 auquel j’aurais peut-être participé si j’étais né quelques années plus tard. Son influence capitale sur le développement de l’Allemagne et de l’Europe entière ne fait plus de doute. L’université de Francfort en était un centre important, même en état de siège pendant plusieurs mois.
Lucienne E Répondre
Merci Frido pour votre récit. J’avais 29 ans en 68 et pour moi ce fut assez sensationnel. Je n’ai pas participé aux manifestations, je suivais cela à la télé. J’avais une famille à élever. Ce qui a fortement changer pour moi, c’est l’état d’esprit qui s’en est suivi, comme la sensation d’un bouchon de champagne qui explose, une liberté dévoilée. Je me sentais "décoincée", c’était génial !. Lucienne E.