Mon baptême
Quand je viens au monde le 22 juin 1945, Papa est en Irlande. Mes parents, fidèles à leurs convictions, ont décidé de ne pas me faire baptiser. Mais Maman se trouve seule face à toute la famille scandalisée par cette décision. « Que va-t-on dire à la Banque si elle n’est pas baptisée ? » s’inquiète mon grand-père Daniel. « Et en plus, elle n’aura ni parrain ni marraine, c’est triste ».
Pas d’inquiétude pour mon salut éternel, seulement pour le qu’en dira-t-on… maman n’est pas de taille pour résister ; elle échange des courriers avec Papa qui finit par écrire « de faire pour un mieux pour éviter les querelles »
C’est ainsi que le 23 août je deviens Marie Andrée Odile Apollonie en l’église Saint Jean Baptiste. Maman manifeste son désaccord en n’assistant pas à la cérémonie. Pourquoi pas Danielle Apollonie, qui sont les prénoms de parrain et marraine ? Je n’en sais rien. Mais je suis contente d’avoir plusieurs prénoms : j’ai le sentiment que chacune des personnes dont je porte le nom m’accompagne dans ma vie.
Le cours de religion
A l’école communale, le cours de religion est obligatoire, mais comme Papa est libre penseur, il m’en a dispensée. Il n’en n’avait pas le pouvoir mais il l’a fait quand même. Madame Mariette donne le cours de religion à 8 h 30 et j’arrive à l’école à 9 h.
Parfois, le curé de la paroisse vient « inspecter » le cours de religion ; je me lève, je m’approche de lui : « Monsieur le curé, je quitte la classe car mon père m’a dispensée du cours de religion »
Papa m’avait bien recommandé d’être très polie mais très ferme. Monsieur le curé me toise et me congédie d’un geste dédaigneux : « Allez donc ». Je me sens humiliée par son attitude. Je suis furieuse et j’en veux encore aujourd’hui à cet homme. Pour sa petitesse d’esprit. J’avais 4 ans et demi, il aurait été plus avisé de se montrer aimable. Je suppose qu’il n’a pas apprécié l’air arrogant que j’avais certainement. Mais il m’a confortée dans mon anticléricalisme naissant !
Les marchands ambulants
Notre pain venait de la coopérative socialiste « Le Progrès ». L’autre marchand vendait le pain du « Bon Grain », coopérative catholique. Bien sûr, on n’achète jamais ce pain-là. Pourquoi, « Parce que c’est le pain des calotins ! »
Un jour, nous sommes à court de pain ; marraine entend arriver la carriole du Bon Grain et sort de la maison avec son porte-monnaie. Je me mets à hurler dans la rue : « Maman, viens vite, Marraine achète du pain aux calotins ! » Grand émoi dans la rue ; on me fait taire : « méchante petite fille, on ne dit pas des choses pareilles ! » Comme si j’avais trouvé ça toute seule à cinq ans …
Actuellement, quand j’achète en grande surface un produit du Bon Grain, je ne manque pas de dire « il est quand même très bon le pain des calotins ». Cela ne fait rire que moi, mais c’est toujours ça !
A L’église
Je vais souvent au cimetière avec Marraine Apollonie pour entretenir le caveau de mon Bon Papa, mort peu de temps avant ma naissance. Apollonie m’a dit qu’il est au ciel ; alors je l’appelle car j’espère toujours le voir entre deux nuages ; mais j’ai très peur qu’en se penchant pour me voir, il ne fasse une chute … mortelle. En revenant du cimetière nous entrons toujours à l’église pour faire à la Saint Vierge une petite prière pour Bon-Papa-qui-est-mort, et aussi pour saluer Saint Jean Baptiste qui me protège ( ?). Je raconte tout cela à mes parents. Papa demandera à Marraine « de ne pas m’encombrer l’esprit avec toutes ces bêtises ». Ainsi prendra fin mon « éducation religieuse ».
Un coup de grisou à Saint Emmanuel ; plusieurs hommes sont tués. Leurs petites filles fréquentaient l’école des Sœurs mais tous les enfants de toutes les écoles du village étaient à l’église pour la cérémonie funéraire, ainsi que toutes les personnalités politiques sans exception.
Un incident survient pendant l’office : un gamin fait une crise d’épilepsie. Monsieur le curé dit : « Faites sortir cet enfant ! » Je m’attendais à ce qu’il lui apporte quelque secours, mais il a continué le service religieux comme si de rien n’était. Peut-être était-ce ainsi qu’il devait faire, je n’en sais rien. Mais moi, j’ai été très choquée par l’attitude de cet homme : j’avais maintenant la certitude qu’il était méchant et sans cœur. Il s’agissait bien sûr de mon « copain », le curé qui venait inspecter le cours de religion !
Conclusion
J’ai toujours vécu sans religion. Mais pas sans principes moraux. Mes parents étaient très stricts. Ils nous ont inculqué par exemple le respect des autres : « Tous les hommes naissent libres et égaux ». Et chez moi il était interdit de dire « le youpin » ou le « macaroni » ou « le polack » : nos voisins avaient un prénom et il était normal de l’utiliser. D’ailleurs, je ne savais même pas ce qu’était un youpin et j’ignorais que Nathan était juif. C’était un copain de Papa, point à la ligne.
Actuellement, mon frère André, qui n’a jamais été baptisé, me demande quand je compte faire mon apostasie. Il me tanne régulièrement avec ça : c’est un sujet de plaisanterie entre nous.
Pourquoi renoncer à ma condition de « baptisée ». Cela n’a aucune importance pour moi, et je me moque pas mal de faire partie –statistiquement- de la communauté catholique. Je fais partie de la communauté des êtres humains, des Bruxellois, des Belges, des Européens, des Terriens. Et ça suffit à mon bonheur. Et pour faire taire le perturbateur, j’ai décrété que je me considérerais comme « apostat » le jour où le Saint Père en personne viendra de Sa Sainte Main rayer mon nom dans le registre des baptêmes de la paroisse Saint Jean Baptiste.