Nous sommes en 1949. La guerre est terminée depuis dix ans. Nous vivons en paix, simplement. Nous n’avons pas la télévision, ni le téléphone mobile, ni internet. Ce n’est qu’en 1953 que de nombreux belges feront l’achat de leur première télévision noir et blanc. A l’occasion du couronnement de la reine Elisabeth II d’Angleterre.
Dans la maison de mes parents, la salle de bain et le chauffage central ne sont pas encore installés. On se lave donc à l’évier. On se chauffe grâce au poêle à charbon. Les soirées en famille se passent dans la salle à manger. La radio propose des chansons, des airs de musique agréables. Autour de la table, maman organise le repas. Le plus souvent des tartines au fromage, du riz, des céréales. Ma grand-mère, toujours présente, transforme parfois le vieux pain en un délicieux dessert.
Je vais vous faire du pain perdu, dit-elle
Tremper les tartines dans le lait et dans l’œuf. Cuire à la poêle. Recouvrir de sucre. Nous adorons ce pain- là ! Mon père résume les évènements de la journée. De temps en temps, il nous permet de parler d’un jeu, d’une aventure. Mon frère est le plus âgé, c’est lui qui raconte. Nous n’avons pas souvent la parole à table. Les enfants doivent respecter le calme du repas. Quand maman fait la vaisselle, elle chante. Maman a une très jolie voix. Comme toujours, c’est elle qui met de l’ambiance. Elle connait beaucoup de chansons. Toutes racontent une histoire.
– Dépêchons-nous de débarrasser la table. Ils vont arriver !
Plusieurs fois par semaine, les grands parents, tante et oncle viennent nous rejoindre. Depuis toujours, les réunions en famille sont incontournables. Quand la radio ne diffuse pas de pièce de théâtre, nous jouons aux cartes. Le Rami et surtout le Nain Jaune. Un jeu ancien très amusant ! A ce jeu, il faut payer à l’aide de jetons.
Mais…nous n’avons pas les jetons ! Impossible de jouer ?
Pas grave. Je vais arranger ça, dit maman
En faisant des confitures de prunes, elle a récupéré les noyaux. Lavés et séchés, ils nous serviront pour payer la mise du Nain Jaune. Ce sont ces noyaux de prune, sans doute, qui nous font tant rire. Nous sommes très souvent 8 ou 9 personnes autour de la table. Les parties s’animent. Maman fredonne en suivant le fond sonore de la radio. Parfois, nous accompagnons la chansonnette. Nous reprenons tous ensemble le refrain.
La chaleur de la pièce est agréable. Un gros feu en fonte est alimenté au charbon. De temps en temps mon père se lève :
Je dois charger le feu !
Il utilise un seau verseur. Il soulève le couvercle du poêle. Le charbon se déverse dans la bouche ouverte du foyer. La soirée se prolonge :
Il est temps d’aller dormir les enfants !
Un baiser rassurant nous garantit une bonne nuit. Les adultes continuent le jeu. Les rires, les exclamations se poursuivent. Ils sont heureux. Ils se séparent enfin. Ils savent qu’ils se retrouveront un autre soir. Ils partageront les mêmes plaisirs simples. Le calme revient, la radio est silencieuse Le feu s’éteint doucement.
Demain il faudra secouer les cendres. Maman s’en chargera en chantant.