Je suis née avant la guerre. J’habitais à Anderlecht. Un quartier face aux champs. Des cultures, des prairies.
En marchant à travers les prés on arrivait au petit bois du Scheutbos. On y remarquait une grande maison isolée : c’était un orphelinat. J’avais six ans, j’étais très impressionnée. Il y a donc des enfants sans parents ? Pour moi, c’était inquiétant.
Dans notre rue il faisait calme, c’était sans danger. Nous étions une dizaine d’enfants. On jouait tous ensemble. Et puis il y a eu les bombardements en 1943. Dans un champ près de chez nous, il y avait un grand trou creusé par une bombe allemande. On jouait dans ce cratère. En été, on y faisait des culbutes. En hiver, on glissait avec le traineau sur la neige.
Je me souviens des alertes pendant la guerre. Des puissantes sirènes sonnaient très fort dans toute la ville. Il fallait vite se protéger des bombes. A l’école, on nous faisait grimper sous les bancs. La nuit, on allait se coucher dans les champs. On emportait manteaux et couvertures. Ma mère avait peur de rester dans la cave. Elle disait :
- Non, si la maison s’écroule nous serons tous en dessous.
C’est ainsi qu’on passait plusieurs heures dehors pendant la nuit. Tous les voisins s’y retrouvaient. Les cultivateurs étaient désespérés.
- Attention, n’écrasez pas les salades !
Nous, les enfants, on trouvait cela gai. On marchait dans le noir. Pas de lumières. Les avions avaient ainsi des difficultés à localiser les ponts, les gares et les usines. Les éclairages des rues étaient couverts de peinture noire. Il fallait occulter toutes les fenêtres. Si on osait allumer une petite lampe de poche, très vite quelqu’un criait :
Lumière ! Eteignez !
Les avions se battaient dans le ciel. On voyait les ennemis se pourchasser. On entendait le bruit des mitrailleuses. Les Anglais et les Allemands étaient de bons pilotes. Mon frère, onze ans, connaissait tous les noms des avions.
ça c’est un Messerschmitt, ça c’est un Spitfire !
Quand un avion était touché, on essayait de deviner où il allait tomber. On regardait les parachutes descendre lentement. Un matin, ma maman a trouvé la soie d’un parachute. Elle en a fait des chemises.
A la libération de Bruxelles, en 1944, j’avais sept ans. Les chars, les jeeps sont arrivés à la chaussée de Ninove. Les Anglais les premiers. Puis, les Américains. Tout le monde allait les voir. Les gens grimpaient sur les chars. On voulait les toucher, leur parler, les remercier, les acclamer. Tout le monde s’embrassait. Ma mère m’avait confectionné une robe rouge, jaune et noir. J’avais un gros nœud tricolore dans les cheveux. Mon père m’a soulevée pour embrasser un soldat. Il était noir. C’est la première fois que je voyais un homme noir.
Depuis, beaucoup de gens voyagent, découvrent des personnes de tous horizons. En Belgique, nous nous nous sommes ouverts à la multi culturalité.