Mes parents m’ont donné une bien extraordinaire date de naissance ! Je suis née le 1er septembre 1939 … le jour où l’armée allemande envahit la Pologne. C’est le début de la seconde guerre mondiale. Le 10 mai 40, les allemands envahissent la Belgique. Mardi 14 mai 1940, maman, mon frère de 22 mois et moi, bébé de 9 mois, nous quittons Bruxelles pour suivre papa, technicien radio, travaillant à l’INR, l’ancêtre de la RTBF. Il est obligé d’obéir aux ordres et de suivre l’équipe de l’INR et le gouvernement belge en exil.
Je vais vous raconter notre exode. Bien sûr, je suis beaucoup trop petite pour être consciente de tout ce qui se passe autour de moi. Maman a raconté et a écrit cette histoire. Permettez que je lui emprunte sa plume et sa mémoire.
1ère étape : Ostende. Nous y arrivons, après 25 heures de route sous les bombardements, parmi d’autres gens en fuite et des maisons en ruine. Nous retrouvons papa mais pour très peu de temps. Les Allemands bombardent Ostende. Papa continue à fuir avec l’équipe de l’INR. Il ira jusqu’à Bordeaux. Mais ça, nous ne le saurons que 4 ans plus tard. Nous n’aurons aucune nouvelle de lui pendant toute la durée de la guerre. Cela sera horriblement angoissant pour maman.
Quant à nous, maman, moi, mon frère et d’autres familles, nous embarquons sur un bateau français. Les avions allemands passent et repassent. Nous sommes installés dans la salle des machines, nous ne voyons rien. Il y a du monde, beaucoup de monde. Les toilettes ne sont pas suffisantes, on se soulage où on peut. Des marins apportent du lait et des biscuits pour les enfants. Où allons-nous : au Canada ? en Amérique ? en Australie ? en Angleterre ?
Le 20 mai, nous approchons des côtes anglaises, nous arrivons à Southampton. Nous attendons … On nous met un carton avec notre nom, notre âge, d’où nous venons, la somme d’argent que nous avons : 500 francs.
Nous montons dans un bus jusque Wimbledon. Nous y passons la nuit par terre dans un couloir plein de courants d’air. Moi, heureusement, je suis dans un berceau avec un biberon. Avec une autre femme enceinte et ses deux filles, maman prie, pleure. Qu’allons-nous devenir ?
Le 21 mai, on nous réunit dans une très grande cour. Un haut-parleur parle en anglais, en flamand et enfin en français. Un bus nous emmènera vers le village de Banstead. Heureusement, nous y retrouvons les autres « épouses de l’INR ». Une dame parlant français nous accompagne, elle sera responsable du groupe. Chaque semaine elle nous donnera quelques shillings pour vivre.
Enfin, nous arrivons à Banstead. Et là, oh miracle, deux autres dames nous attendent dans la salle à manger d’une villa. Un grand feu flambe dans la cheminée. Pour nous qui vivons depuis une semaine comme des sauvages, c’est une émotion impossible à décrire !
Une nappe blanche est dressée sur une longue table, les couverts sont bien mis. Nous sommes invités à nous asseoir. Nous dégustons un bon potage, de la viande, des pommes de terre et surtout des gros pois verts cuits à l’eau. Quel délice ! Nous sommes comme dans un rêve ! Après, ces dames nous montrent nos chambres. Dans chaque chambre, le lit est bien fait. Il y a un lavabo avec des brosses à dents, du savon, des essuies.
C’est ainsi qu’à 9 mois, je me suis retrouvée émigrée avec ma maman et mon frère de 22 mois. En repensant à tout ce que maman a raconté, je ne puis m’empêcher de me poser la question suivante : comment, nous les belges, accueillons-nous aujourd’hui les personnes fuyant leur pays en guerre ?
Merci à toutes les personnes inconnues qui m’ont permis de vivre mes 5 premières années dans l’insouciance !