En 1957, Albert et Joséphine partent pour « le Congo belge ». Suivez leurs aventures en 3 actes dans un pays où « Blancs » et « Noirs », comme les nomment spontanément leurs auteurs, vivent séparément et où les « Noirs » sont les boys des « Blancs ». Trois textes qui nous interrogent sur notre passé colonial.
Nous sommes en 1956 dans la région de Liège.
Mon fiancé avait passé des examens pour être professeur de menuiserie au Congo, ancienne colonie belge. N’ayant aucune réponse, nous ne pensons plus à la démarche qu’il a faite et décidons de nous marier. Nous devons louer un appartement, le meubler, et avoir tout le nécessaire.
Ce mariage étant conclu, nous sommes partis en tour de noce et, à notre retour, Albert, mon nouveau mari, est convoqué à Bruxelles. Rentré, il me dit qu’il a reçu des piqûres pour se rendre à la colonie et que je dois me présenter également. Mais moi je ne veux pas partir là-bas ! Je ne veux pas m’expatrier et me séparer de ma famille... !
Devant mon chagrin, nous avions décidé d’en parler à nos parents. La première contactée était la maman d’Albert. Elle nous a répondu qu’il n’y avait aucun problème, qu’elle avait d’autres enfants qui venaient régulièrement lui rendre visite. Elle proposa que l’on s’écrive régulièrement.
Intérieurement, il me restait l’espoir que mon père ne serait pas d’accord que je parte aussi loin, lui qui, le jour de notre mariage, pleurait en sachant que j’allais quitter le nid familial. Apprenant la nouvelle, il nous a dit que c’était notre avenir et qu’il viendrait un jour ou l’autre nous rendre visite avec son ami Jean dont le fils vivait à Léopoldville.
Comme je lui faisais remarquer que je ne souhaitais pas partir, il m’a répondu que j’étais mariée et que je devais suivre mon mari !!! Hé oui, c’était mon nouveau rôle d’épouse... Bon gré, mal gré, je me suis résolue à faire les malles et les valises.
Nous sommes partis vers la mi-août 1957. Il était temps car je n’avais plus d’appétit et pleurais régulièrement. Une photo a été prise sur l’escalier montant vers l’avion, je pleure derrière mon mari !
Arrivés au Congo, nous sommes restés une semaine à Léopoldville à l’hôtel. Un couple d’amis venait nous chercher chaque jour pour nous faire découvrir les curiosités. Ce qui m’a le plus marquée, c’est le défilé des femmes « noires » ! En plus de porter leur enfant sur le dos, elles allaient et venaient avec de grands bassins sur la tête contenant soit du manioc, ou des fruits, ou toutes marchandises servant de nourriture.
Après quelques jours à Léopoldville, puis à Luluabourg, nous sommes arrivés dans la ville construite pour les « Blancs », la ville de Lodja. C’est là que mon mari avait été désigné pour enseigner à l’école pour « Noirs ». La piste était recouverte de sable, si bien que par temps de pluie, l’avion ne pouvait pas atterrir, nous privant de marchandises périssables (notamment fruits et légumes) et du courrier.
Lodja était une ville fermée où vivaient séparément 200 « Blancs » et environ 10 000 « Noirs ». La première maison que nous avons occupée était un bungalow très rudimentaire. Il y faisait très chaud ! A Lodja, il n’y avait ni eau potable, ni électricité ! Nous avons acheté un frigo marchant au pétrole. À 18h, il faisait noir. Nous étions éclairés par une lampe effervescente qui marchait aussi au pétrole. Moi qui n’avait jamais manqué de rien, ces premiers moments étaient bien difficiles... Je ne me plaisais pas du tout là-bas...
Dans ces conditions, nous avons fait appel à 1 ou 2 boys. Comme nous n’avions pas d’eau potable, tous les jours, le boy allait dans la forêt avec un jerrican pour puiser de l’eau à une source. Rentré, il fallait faire bouillir cette eau dans une bouilloire et ensuite la verser dans un filtre. L’eau coulait lentement dans un autre récipient. Après tout ce travail, cette eau était potable. Elle servait pour faire du café et la cuisine. J’ai appris à cuisiner au boy. Il était assez intelligent et notait les recettes dans un carnet. Il disposait d’une balance de cuisine et pesait tous les ingrédients intervenant dans les préparations !
En 1960, nous avons quitté le Congo. C’était le temps de l’indépendance. Rentrés en Belgique, nous avons envoyé quelques billets à un chef de territoire, lui demandant de remettre cet argent à notre boy, Placide. Nous n’avons jamais eu de nouvelles.
Nous avons toujours eu de très bons contacts avec les boys et les gens que nous rencontrions. Cela peut paraître rude et injuste, mais quand nous parlions de l’indépendance à nos boys, ils n’en voulaient pas... Ils disaient qu’ils vivaient mieux avec les colons...