Petite fille, je joue beaucoup avec mes poupées. Je suis maman, je prépare des repas, je les berce. Je suis aussi institutrice. J’aligne les poupées devant un tableau noir et je leur apprends à lire et à compter.
Mon frère reçoit des voitures, des garages, un fort de cow-boys, des soldats. J’aime aussi participer à ses jeux. Je campe avec lui dans la tente d’indien. J’invente des histoires avec mon héros favori Ivanhoé et nous courons dans les bois sur des chevaux imaginaires.
J’aide maman et ma grand-mère à faire le ménage. Yves n’est jamais chargé de ces corvées.
Je dois aussi apprendre à tricoter, crocheter et broder. Maman excelle dans ces travaux et souhaite que sa fille suive son exemple. Je déteste.
Ce que j’envie le plus chez les garçons, c’est qu’ils peuvent servir la messe. J’aimerais tant être enfant de chœur !

En 1968, j’ai 15 ans. Le monde change. Les jeunes s’affirment. Mais pas partout, pas uniformément. Tout dépend du milieu social, de la volonté des parents.
Les miens n’ont pas de problèmes financiers et j’ai un frère qui déteste l’école. J’espère que je pourrai faire les études qu’il n’entreprendra jamais. Hélas, non.
Lorsque je termine mes humanités en juin 1971, je voudrais aller à l’université, étudier la littérature ou l’histoire mais mes parents s’opposent. Je négocie un cours de secrétariat médical et essuie un nouveau refus. J’irai travailler. Une fille n’a pas besoin de faire de hautes études. Pas question non plus d’aller habiter seule et de travailler pour payer mes études. Une jeune-fille reste chez ses parents jusqu’au mariage. Et je pense alors que je dois obéir à l’autorité parentale sans plus de discussion.

A la Banque, certaines fonctions sont réservées aux hommes. Je réussis l’examen pour un poste de programmeur mais je n’obtiens pas la place car elle exige des permanences de nuit interdites aux femmes.
Plus tard, ces différences sont abolies et je gère une équipe composée de 4 hommes et 3 femmes. Il me semble d’ailleurs plus facile de diriger les hommes moins enclins à des mesquineries.

Après 4 ans de galère, j’arrive à imposer mon mari à mes parents.
Notre vie de couple commence bien. Nous nous répartissons les tâches ménagères, sortons ensemble jusqu’à la naissance de Kris. Pendant les 14 semaines qui suivent l’accouchement, je trouve normal de m’occuper seule du ménage. Mais, quand je retourne à la Banque, Jef a un nouveau travail qui l’oblige à voyager. Il me laisse souvent seule pour gérer le ménage et l’éducation des enfants. Quand il est à la maison, il estime « qu’il travaille lui » et s’arroge le droit de se délasser avec ses copains, football, golf, tennis et soirées arrosées.
J’assume cette vie et finalement, lorsque nous divorçons en 1998, je n’ai pas trop de mal à me débrouiller seule.

Je n’ai jamais été féministe. J’aurais aimé élever mes enfants dans le calme, sans galoper du bureau à l’école. Passer du temps avec eux, leur apprendre ce qui me semblait intéressant. Organiser mon foyer comme bonne-maman, faire des conserves, des confitures, lire et écrire dans mes moments libres. Bref, j’aurais aimé vivre la vie de ma grand-mère. Mais elle, en était-elle satisfaite ? Je sais qu’elle aurait aimé voyager. Elle s’évadait grâce à des documentaires sur des pays lointains, écoutait avec ravissement les récits de cousin Roger qui lui rapportait des cadeaux des quatre coins du monde. Elle lisait des reportages sur tous les endroits qu’elle ne verrait jamais.
Sa vie n’a certainement pas été facile mais jamais je ne l’ai entendu se plaindre. C’était la vie des femmes à cette époque, elle n’en connaissait pas d’autre et elle en tirait le plus de satisfaction possible.
Et maintenant que je suis à la retraite, je veux prendre le temps de vivre calmement, de profiter de chaque instant, de chaque activité, seule ou avec d’autres. Ne plus courir, ne jamais avoir à dire « je n’ai pas le temps », accueillir chaque journée et le soir venu être satisfaite de ce que j’en ai fait.

Toutefois, puisque d’autres ont réclamé l’égalité pour les femmes, j’ai aussi estimé qu’il fallait se comporter en égales des hommes. Combien de fois n’ais-je pas entendu de commentaires sur celui qui n’ouvrait pas la porte, qui ne s’effaçait pas pour laisser sortir une dame de l’ascenseur. Où est la logique d’un tel comportement ?

Et d’autre part, je me demande si cette égalité est fondamentale ?
Les polarités masculines et féminines sont intégrées dans la nature et sont source de dynamique de vie.
Dans notre société, il règne une grande confusion quant aux critères masculins et féminins.
Bien sûr, la femme a acquis des pouvoirs économiques mais, au détriment de sa féminité. L’homme par ailleurs a perdu certaines de ses caractéristiques masculines. Puisque la femme occupe des places qui lui étaient réservées, l’homme exprime sa virilité d’une autre manière, souvent brutale, ou se féminise.
Pourquoi alors ne pas répartir les tâches, se trouver complémentaires et harmoniser nos différences ? Pourquoi ne pas redevenir des Chevaliers et des Dames ? Non pas retourner au Moyen Age mais utiliser ces idéaux mythiques pour exprimer et développer les valeurs propres à chaque polarité. J’apprécie la courtoisie, la politesse, la galanterie, la force physique et l’esprit pratique des hommes. Je suis certaine qu’ils apprécient les femmes douces, généreuses, sensibles.

4 commentaires Répondre

  • Bernard B. Répondre

    Merci pour ton texte, Brigitte, il m’a surtout touché parce que tu aurais aimé faire des études !

    Dans les années ’60, mes parents me disaient : "Si tu étais une fille, tu ne ferais pas des études." J’étais le premier et restais le seul dans notre famille à fréquenter un lycée et à aller plus tard à l’université.

    Depuis ces années, je me sens proche du féminisme, depuis ces années je m’engage dans la lutte contre la défavorisation, peu importe s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.

    Avec les sciences sociales, le féminisme m’a ouvert les yeux sur ce qui se passe dans notre société, sur ce qui se passe en moi, m’a sensibilisé pour ce qui se passe entre femme et femme, homme et homme et femme et homme (ces trois réalités font partie de ma vie).

    Le féminisme a toujours joué un grand rôle dans ma vie.

  • J K Répondre

    Brigitte

    j’ai bien aimé ton texte

    je pense que l’égalité signifie les mêmes possibilités de réussite mais avec grâce et en douceur comme en sont capables les femmes

  • gilou Répondre

    Bravo Brigitte S.

    Ce récit me fait tellement penser à mon parcours.
    Mes jeux de petite-fille , mon désir d’être institutrice remplacé par des cours accélérés de secrétariat et finalement faire une carrière de bureaucrate.

    La vie de famille, un mari aimant et aidant, bureau, maison, enfants, les devoirs.

    A la retraite je réfléchis chaque matin au lever et me dis aurais-je été plus heureuse d’être femme au foyer ? mes grands-mères et ma mère l’étaient mais elles m’ont poussée à "aller travailler " Pourquoi ? pour finalement avoir eu le parcours de femme au travail et obéir à la société de consommation.

    Mes enfants n’ont pas souffert d’avoir une maman qui travaillait, ils me le disent et redisent souvent que nous avons eu une belle vie de famille.
    C’est un cadeau que ces belles paroles car une maman se sent toujours culpabilisée , mais pas le papa ... c’est un mystère du féminin/masculin.

    Moi aussi je suis sûre que les hommes apprécient les femmes douces et généreuses.
    Nous sommes différents mais indéniablement complémentaires.

    • j.k Répondre

      Gilou, tes grands mères ont eu raison
      l’indépendance est importante
      dépendre financièrement du mari n’est pas aisé
      tu as mené tes deux métiers de front, tes enfants n’en ont pas souffert
      tu étais probablement plus épanouie que si tu t’occupais uniquement des enfants, travaux domestiques et autres contraintes ménagères.
      mère au foyer n’est pas la bonne solution
      Seuls les curés la préconisent.

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