Il fait beau, un tout petit vent souffle.
Devant moi, le sable, la plage.
Plus loin, la mer.

Assis, bras écartés, mes deux mains dans le sable, d’un geste ample je les ramène devant moi. Des milliards de petits grains viennent ainsi s’empiler pour créer une petite montagne. Le soleil chauffe mon oeuvre tandis que certaines petites particules roulent déjà jusqu’à leur base.

Placés en forme de grue, je plonge une première fois mes deux mains dans ce sable chaud pour capturer puis libérer progressivement l’ensemble de ces éléments que le vent léger emporte délicatement vers d’autres lieux. Ce qui me surprend, c’est la chaleur intense de chacun de ces grains qui, une fois partie, me laisse une impression de terrible froideur.

Je pense alors à Mumu, jolie fille aux cheveux longs dont elle retirait les fourches à longueur de journée. Durant trois ans, nous nous sommes confiés, tapés dessus, moqués l’un de l’autre, remplissant ainsi nos longues journées scolaires. Une amitié sincère qui s’est évanouie lorsque chacun de nous s’en est allé chercher l’amour, comme si amour et amitié étaient incompatibles.
Je pense aussi à Albert avec qui j’ai fait les quatre cent coups des vendredis soirs, n’osant même pas décrire ici l’état dans lequel certaines de nos soirées s’achevaient. Longtemps nous sommes restés en contact jusqu’au jour où, non plus le vent mais le tourbillon de la mort l’a emporté.
Je pense aussi à Véro, Martine, Patrick... et bien d’autres, autant d’amitiés aujourd’hui éteintes.

Je replonge mes mains dans ce sable, mais cette fois, beaucoup plus profondément. Je ne ressens plus cette même chaleur intense de ma première expérience mais à ma grande surprise, l’ensemble des grains ne forme plus qu’une masse humide et collante qui, à sa libération, retourne en un seul bloc à son origine.

Je pense alors à ces gens qui s’agglutinent dans des réceptions, dans des réunions privées ou professionnelles, et où tous sont amis. J’ai connu cela. C’est le genre d’endroit où il vous est impossible de parcourir deux mètres sans qu’une main ne s’abatte brutalement sur votre épaule et que vos tympans ne vibrent anormalement sous le hurlement du « ah, mon ami, comment vas-tu ? On m’a dit qu’un... » ou « il paraît que... Tu ne devrais pas te laisser faire... Moi, je connais quelqu’un qui... ». Toute l’assemblée ainsi prévenue de votre arrivée, se permettra, au nom de l’amitié, de vous abreuver de conseils. Ce sont ces mêmes amis, qui plus tard, hors de portée de votre oreille et sous le sceau du secret, bien sûr, vous critiqueront. Pendant ce temps-là, vous n’avez encore rien dit ni même eu la possibilité de demander un peu de discrétion.

Là-bas, dans le lointain, le soleil a perdu ses reflets jaunes vifs pour afficher une lumière teinte rouge orange. Je m’en retourne chez moi ou dès mon arrivée, j’occulte tout pour retrouver ma solitude. J’ai rencontré des milliards de grains de sable, autant d’amis potentiels, ils sont tous partis au fil du temps, au gré du vent. Du moins, je le crois.

J’ouvre ma main à nouveau, je cherche et… surprise, il subsiste encore quatre ou cinq petits grains. Je réfléchis et décide ici de vous en parlez brièvement. Ce sont quatre ou cinq amis à qui je peux parler et qui m’écoutent. Ils me parlent et je les écoute. Aucun jugement ne sera émis, aucunes paroles ne seront trahies. Seule chose autorisée éventuellement : une suggestion. Entre nous règne le plus grand respect. Je ne peux résister à vous donner un exemple.

L’autre soir, après un coup de téléphone plus que déplaisant, je me suis retrouvé dans un état de tristesse et de solitude extrême. J’ai repris mon téléphone pour composer un numéro. Je savais lequel.

Elle : allo
Moi : salut, comment tu vas, je ne te dérange pas au moins ?
Elle : je mange avec mon mari et le fils. Comment vas-tu ?
Moi : Excuse-moi, mais j’ai une demande à te faire. Je n’ai pas envie de parler, je suis énervé. Tu n’as pas quelque chose d’agréable à me raconter ?
Elle : nous rentrons juste de vacances et …

Et pendant cinq minutes, j’entends un merveilleux récit que j’interromps moi-même par une dernière question : à propos, que mangez vous ? Du poisson me répond-elle.
Directement après cela, je lui dis : « je pense que je ferais mieux de vous laisser manger. Passez une bonne soirée ». Notre échange se termine non sans que je ne reçoive une invitation.

Et voila… Comme dans ma demande initiale, aucune question en ce qui concerne mon énervement. Juste une réponse à ma demande. Alors pour moi, voilà quelqu’un qui mérite vraiment le titre d’ "AMIE".

De ces amis-là, cinq doigts suffisent pour les compter. Mais au moins, « EUX », ce sont de « VRAIS AMIS ».

5 commentaires Répondre

  • Jacqueline Bouzin Répondre

    Merci, Philippe, pour ce si joli texte. Quoique je trouve la description des cocktails mondains un peu trop sévère...Si moi-même, j’y suis authentique, surgissent parfois quelques moments de vrais échanges , à complèter plus tard dans des circonstances plus favorables !
    Moi aussi, j’ai toujours cru que l’amitié est plus solide que l’amour parce que moins soumise aux variations émotionnelles. Je thésaurise depuis 53 ans "Ma Bande des Quatre", amies fidèles depuis notre sixième latine à Saint-André. Trois fois l’an, nous partons ensemble durant trois jours, sans hommes ! Quelle joie que ces rires, ces inquiétudes partagées sans fausse honte avec la certitude d’une écoute bienveillante et discrète.
    Mais, je suis certaine, Philippe, que la vie vous réserve encore quelques jolies rencontres, pour vous qui écrivez avec tant de délicatesse nostalgique. Amicalement. Jacqueline.

  • dadu Répondre

    J’avais lu, en son temps, cet article et n’avais pas jugé bon d’y répondre. Je l’ai relu aujourd’hui, je l’ai MIEUX relu.C’est cela aussi la beauté d’un texte, il faut lui laisser le temps de vous aprivoiser.Combien de grains de sable me restent dans la main et qui sont-ils ? Voilà les bonnes questions auxquelles je devrai m’attacher à trouver les réponses. Merci pour ce morceau d’anthologie.

  • Fleur Tropicale Répondre

    c´est beau,simplement beau ces grains de sable dans le désert........

  • Anniel Répondre

    Je crois que l’amitié est un mot, celui ou celle qui la reçoit ou qui la donne est plus qu’un être, c’est un "ami".....
    L’amitié se consomme sans excé, mais aussi sans modération ....
    Je crois que tu as tout dit.... On compte les amis sur les doigts d’une main !
    Félicitations et amicalement.
    Anniel., peut être une amie ?

    • Nadine Répondre

      l’amitié a toujours représenté pour moi quelque chose de merveilleux !!
      depuis longtemps je l’assimile à la si belle chanson de Felix Leclerq : c’est un petit bonheur que j’avais ramassé...et ce sont tous ces petits bonheurs qui ont été ma vraie richesse et même (comme dans la chanson) lorsqu’il s’en est allé j’en ai, toujours gardé quelque chose de très précieux qui remplit mon souvenir.
      Nadine

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