Ce texte fait partie du feuilleton de Nicole "Au fil des bulletins scolaires" Lire l’ensemble

J’ai 13 ans. En septembre 1957 je rentre en 4ème gréco-latine (l’actuelle 3ème) chez Mère Louise qui est notre titulaire et prof. de maths. Je me sens en déphasage par rapport à mes compagnes qui ont un an de plus que moi. Elles portent des bas nylon, elles ! et moi encore des socquettes : la honte ! Elles parlent de leurs sorties, de garçons et m’excluent de leurs conversations qui –il est vrai – ne m’intéressent pas. Mes profs disent que je manque de maturité. Heureusement que j’ai Françoise et Colette. Colette qui est joyeuse et chante toujours « quoiqu’ il arrive, j’ai toujours le sourire ; je prends la vie du bon côté ; je me dis qu’il peut arriver pire et ça suffit pour me mettre en gaîté » Nous tenons d’interminables conciliabules, nous nous aidons pour nos devoirs. Colette est pensionnaire et supporte mal cette situation. Elle n’accepte pas que les religieuses puissent lire son courrier, aussi bien souvent, je lui poste ses lettres en douce. J’ai beaucoup de travail scolaire, principalement en néerlandais. Notre prof, Madame Bonquet, est une terreur. Cette branche me demande autant d’efforts que toutes les autres branches réunies !

En 1958, tout le monde n’a qu’un mot à la bouche : « l’exposition universelle » très vite résumée en « expo 58 ». C’est un événement de grande ampleur : de nombreux pays exposent leur art, leur savoir-faire, leur artisanat, dans des pavillons construits uniquement pour cela sur le plateau du Heyzel. Pour faciliter le transport de tous les visiteurs vers l’expo, Bruxelles se lance dans de grands travaux d’infrastructure : prolongation de lignes de trams, tunnels routiers de la petite ceinture, hôtels, centres sportifs et culturels, parkings immenses, etc…et surtout, construction de l’Atomium. Ce bâtiment ultramoderne est composé de 9 boules immenses recouvertes d’aluminium, raccrochées les unes aux autres par des tubes (contenant des ascenseurs) et défiant les lois de l’équilibre. La science atomique est en plein essor et ce bâtiment se veut un hommage à la gloire de cette toute nouvelle science.
La Belgique construit aussi la « flèche du génie civil », structure en béton qui s’élève dans les airs sans support ! Impressionnant !

Beaucoup de pays participent à cette exposition, notamment les Etats-Unis qui montrent un pavillon circulaire – un des rares qui ne sera pas détruit à la fin de l’expo – Les américains y vendent, entre autres, des cornets de glace d’un genre encore inconnu en Europe, les « soft ices ». La marchande met un cornet sous un levier d’une machine, lève ce levier et tombe dans le cornet un gros serpentin de crème glacée, soit blanc vanille, soit rose fraise, soit brun chocolat (de toute façon sans beaucoup de goût), elle imprime un mouvement tournant au cornet pendant qu’il se remplit et donne ainsi à la glace une apparence comme si elle sortait d’une douille. Ces glaces ont un succès fou. Nous découvrons aussi lors de cette expo les « hot dogs », inconnus chez nous jusqu’alors.
L’exposition ouvre ses portes d’avril à octobre, si je me souviens bien. Elle est l’objet des voyages scolaires de toutes les écoles du royaume. Nous y allons avec notre classe de 4ème latine un jour du troisième trimestre.

Au cours de cette année scolaire, Françoise me propose de créer avec elle une section locale de la JECF : Jeunesse étudiante catholique féminine, mouvement de jeunesse dépendant de l’Action Catholique, un peu hybride, rassemblant les caractéristiques du scoutisme et de la JOC fondée par l’Abbé Cardijn. Nous sommes soutenues par Jeanine van der Aa, chef d’une section importante à Uccle, que Françoise connaissait déjà. La chef est Françoise et je suis son assistante. Nous faisons un peu de publicité dans les classes, proposons une réunion par semaine sur le temps de midi, un minicamp pendant l’année et un grand camp aux vacances d’été. Très vite nous sommes une vingtaine de jocistes. Pour ouvrir et clôturer les réunions Françoise entame d’une voix forte et sûre le chant du mouvement : « Jéciiiistes, debout !, le monde est déchiré de haine et de mensonges ; Hardi pour le sauver, laissons là tous nos songes ; cherchons la vérité, vivons dans l’amitié…………………. »
Buts très nobles à la hauteur de notre enthousiasme !!
Cette section locale que nous avons créée connaîtra de plus en plus de succès et continuera même après notre départ en fin de rhétorique.

Un jour de ce trimestre, mon amie Colette est priée de quitter l’école pour cause d’ « insubordination ». La directrice, Mère Aloyse, ne l’aime vraiment pas. Du jour au lendemain Colette a dû plier bagages et ses parents trouver une autre école pour qu’elle y passe la fin de l’année. Pendant un mois elle n’a pas pu voir ses parents ni rentrer le W.E. à la maison. Je suis à la fois très triste et furieuse. Aussi, avec Françoise, les samedis après-midi nous faisons du stop pour aller la voir dans son pensionnat à Uccle et passer quelques moments avec elle. En cachette des parents bien sûr ! Les réunions JEC servent d’alibi.
Colette réintégrera l’école à la rentrée suivante. Pendant les vacances il y a eu un changement de directrice ; la nouvelle s’appelle Mère Marie Bernadette.

Pour les grandes vacances de cette année, les parents décident de ne pas partir en villégiature mais de les consacrer à visiter l’expo. Ils achètent un abonnement pour chaque membre de la famille et 2 à 3 fois par semaine nous passons une journée à l’expo. J’en ai gardé un souvenir fabuleux ! Chaque fois il y a quelque chose de nouveau à découvrir. Des cousins viennent parfois passer une semaine chez nous et nous allons alors entre jeunes, tout seuls, comme des grands, passer la journée à l’expo. Je visite ainsi la « Belgique joyeuse » avec ses restos et ses divertissements, je vais voir plusieurs fois le pavillon du Siam qui est magnifique, je ne me lasse pas de contempler le spoutnik au pavillon de l’URSS et bien sûr je mange des soft ices.

Fin juillet, grande excitation : mon premier grand camp jéciste ! Nous passons 2 semaines à Habay la Vieille, dormons dans une grange, nous lavons dans l’Anlier, faisons la vaisselle avec de l’eau de cette même rivière, participons à de grands jeux et tous les soirs : feu de camp ! c’est un moment magique, profond, prenant, priant, chantant « as-tu compté les étoiles et les astres radieux… », je me sens devenir meilleure, je prends plein de bonnes résolutions….bref, je suis sur un petit nuage. Le retour à la maison n’en est que plus dur. De nouveau supporter les petits frères et sœurs, de nouveau devoir obéir à Mammy (ma maman), de nouveau ranger, mettre de l’ordre, veiller à ses vêtements, et des tas d’autres choses très terre à terre alors que je viens de vivre tant de moments exaltants !

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2 commentaires Répondre

  • jeanninek Répondre

    avoir 20 ans et consacrer les vacances à visiter l’expo
    c’est ce que j’ai vécu moi aussi en 1958

    des images, des sensations ,spectacles et découvertes inoubliables le monde à portée de mains ...des pieds aussi, car la déambulation à travers l’expo les mettait à rude épreuve

    les Jocf que j’ai fréquenté vers mes 16 ans ne m’ont pas laissé un excellent souvenir
    Sans doute n’y ais-je pas trouvé l’amitié que tu décris si bien.
    Par contre l’amitié commencée en secondaire se poursuit encore toujours après 60 ans de fidélité !

  • Annie Boisdenghien Répondre

    Que de souvenirs évoqués par ce texte ! En 1958, j’avais 16 ans. J’avais aussi la frénésie des visites des pavillons de l’expo.Certains m’impressionnaient, comme l’URSS par son gigantisme, d’autre comme la Thaïlande par leur esthétique délicate. J’avais un abonnement,comme toi,qui me permettait de me rendre tant que je le voulais à l’expo. Je photographiais avec l’appareil photo reçu à ma communion. C’était difficile car il fallait tout régler : diaphragme, vitesse, profondeur, luminosité.J’ai conservé "mes chefs d’oeuvre" dans un album intitulé "Exposition 58". C’était aussi l’époque de la mode "Brigitte Bardot" : jupe ballon gonflée par de nombreux jupons, corsage échancré, large ceinture,ballerines, et pour couronner le tout, la coiffure choucroute. J’ai aimé cette époque, celle de l’adolescence ouverte à un avenir radieux.

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