Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

La ville, c’était la faim et les bombardements. Un cortège ininterrompu d’ambulances la traversaient, des heures durant les sirènes d’alerte lamentaient, et les forteresses américaines traversaient le ciel, semant des banderoles de papier argenté telles des décorations de Noël ou des lames de couteau aiguisé. La force aérienne alliée redoublait ses bombardements sur Ronet, gare de triage et de concentration des lignes de chemins de fer à la périphérie de la ville.
La vie ne tenait qu’à un fil. Des avis à la population étaient régulièrement placardés. Ce n’était pas un notaire qui signalait une vente publique mais le Kreiskommandant qui annonçait des condamnations à mort de terroristes ou de gangsters, en fait des membres de l’Armée Secrète, et la date d’exécution de la sentence.
Ces martyrs ne nous étaient pas inconnus. Avant d’être exécutés, ils avaient entrevu "les mains bénies" de ma sœur, telles les ailes d’une blanche colombe qui leur faisaient signe et venaient les réconforter
Durant les congés scolaires, depuis l’année 1942, nos parents nous éloignaient systématiquement du danger qui planaient sur nous tous, en nous envoyant dans des colonies de vacances ou chez des fermiers reconnaissants, brèves périodes de sursis, à l’abri de la Gestapo, des bombardements et durant lesquelles nous étions assurés d’un régime alimentaire privilégié.
Je me souviens de "papa" José, qui nous apprenait à chanter : "… Eprave, Eprave, tout nous sourit quand nous chantons en chœur…" afin de nous faire oublier, un temps, les épreuves de la guerre. Et à Sauvenière, pour raviver notre esprit de clocher, nous chantions avec ferveur, en compagnie de Mademoiselle Pirson : "…Pays de Charleroi, c’est toi que je préfère, le plus beau coin de terre, à mes yeux, oui, c’est toi…".
Madame Elise, l’épouse de "Fais l’fou, Fidèle" tint parole et nous accueillit dans sa ferme, ma sœur Maria, mon frère Georges et moi-même, durant les grandes vacances de 1943 et un fermier de Montgauthier en 1944.
Quant à ma grande sœur, elle refusait de quitter ses prisonniers.
C’est, elle, en effet, qui vivait, au jour le jour, le sort tragique de ces hommes dont elle ne voyait pas le visage mais dont elle apprenait en primeur les souffrances et parfois la mort. Elle s’attachait à ces jeunes gens pris au piège, souvent surpris de ce qui leur arrivait, anéantis par la cruauté gratuite de leurs geôliers. Elle était leur infirmière, leur soutien moral et, en cas de descente de la Gestapo, l’alibi était tout trouvé, elle entretenait un flirt avec l’un des prisonnier.
"Spada" fusillé, les télégraphistes improvisés se succédèrent au rythme de leur exécution ou de leur déportation. Après le Frère Adolphe de St. Hubert, ce fut Paul Depaire de Namur-un ami de la famille- qui attribua à ma sœur, afin de brouiller les pistes, le nom de guerre de "bébète". Il faisait allusion à une époque qui remontait à la petite enfance de celle-ci quand mon père la menaçait lorsqu’elle n’était pas sage de lui donner une claque sur son "pépète", Déporté, il céda sa place à Marcel Nassogne de Bonsin.

La vie se déroulait entre deux pôles : les victoires remportées sur les fronts par les armées alliées et la peur qu’elles soient retardées dans leur offensive et arrivent trop tard pour libérer nos prisonniers.
Mis au courant de la prise de Rome, un enthousiasme délirant les poussa à s’exprimer par des chants patriotiques, des cris, des hurlements qui réveillèrent tout le quartier. Le piétinement sur le Mont Cassino les plongeait dans la stupeur.
Ma sœur continuait à transmettre inlassablement des messages d’encouragement et à recueillir des appels tragiques.
Il arrivait que les détenus avouassent sous la torture.et tentaient de se rattraper en alertant, par nos soins, ceux qu’ils avaient dénoncés et dont la vie était désormais menacée. Parfois le message d’alerte qui leur était destiné, leur parvenait trop tard. Avant que mon père ait pu contacter la "bonne personne", ils avaient été arrêtés.
Le dernier relais fut un Namurois, Léopold De Hulster, journaliste au "Peuple, ex-échevin de Saint-Servais, agent actif de la presse clandestine, résistant armé. Déporté au camp de Mauthausen, il y décéda le 22 décembre 1944, à 45 ans. Son épouse, arrêtée en même temps que lui, déportée à Ravensbrück, lui survécut.

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