Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « Entre rire et pleurer »
A partir des années 60, j’ai été plusieurs fois dans les pays de l’Est.
C’est sans doute à Prague que j’ai séjourné le plus souvent. Un ami m’avait donné l’adresse de Jiri Rugicka, qui avait fait en France, avant la guerre, un chantier de travail au Service Civil International, une organisation pacifiste. Il habitait avec sa femme et sa fille à Sporilov, un quartier récemment bâti à la périphérie de la ville. Bien qu’ils soient logés plutôt à l’étroit, ils m’ont toujours chaleureusement accueilli chez eux.
Franchir le « rideau de fer » ne présentait pas de difficultés particulières à condition de s’être muni d’un passeport, d’un visa et d’une lettre d’invitation lorsqu’il s’agissait d’assister à quelque congrès. Paradoxalement, ma traversée la plus aventureuse de la frontière germano-tchèque se situe en 1994, donc après l’écroulement du communisme. Cette fois-ci, j’allais à Prague pour participer à une session préparatoire à la Rencontre œcuménique européenne de Graz, qui devait avoir lieu quelques mois plus tard.
J’avais choisi d’y aller en bus. Ce n’est pas la formule de voyage la plus confortable mais elle est très économique. Et elle est très pratique : on part en fin de soirée et l’on arrive à Prague le lendemain à l’heure de midi. J’étais convaincu, que le passeport n’était plus nécessaire et que la simple carte d’identité suffisait. Au lieu d’embarquement, à côté de la gare du Nord, le chauffeur nous demanda si nous avions bien notre passeport. Je ne l’avais évidemment pas. Il n’était plus temps de retourner chez moi pour le prendre. Je déclarai au chauffeur que je ne l’avais pas mais que j’allais tout de même risquer ma chance. J’avais la lettre d’invitation à la session et j’espérais que les affaires pourraient s’arranger avec les douaniers.
Nous arrivons très tôt le matin à la frontière tchèque. Catastrophe ! Le douanier ne veut rien entendre. Ma carte d’identité n’est pour lui qu’un morceau de carton sans valeur. Il me faut descendre du car. C’est le moment où jamais de se remémorer les aventures du brave soldat Schvejk, ce héros typiquement tchèque qui arrive à se tirer des pires situations à force de respect de l’autorité, de bonne volonté maladroite et de bêtise candide. Que ferait à ma place le soldat Schvejk ? De mon air le plus innocent et tout à l’aise, je me dirige vers un café qui est de l’autre côté de la frontière. « Monsieur le douanier, je voudrais, avec votre permission, donner un coup de téléphone. » Mais ça ne prend pas. J’ai à peine fait quelques pas qu’un douanier me rattrape et me refoule sans m’écouter. Réfléchissons donc plus sérieusement au problème. N’y aurait-il pas moyen de contourner le poste de douane ? Je reprends donc le chemin d’Allemagne et je regarde s’il n’y a pas de chemins latéraux. Oui, à quelques dizaines de mètres, il y a à droite, un chemin forestier. Qui sait ? Peut-être qu’un peu plus loin il en coupe un autre qui, lui, est parallèle à la route que je quitte et qui me mènera en République tchèque… Ca y est, c’est décidé : je le prends. En fait, j’ai le sentiment de m’embarquer dans une entreprise un peu folle. Je suis dans un endroit que je ne connais pas. Je n’ai ni carte ni boussole : je sais seulement que, en gros, la République tchèque se situe à l’Est. Je m’oriente d’après le soleil. En plus, je suis lourdement chargé : un sac au dos et une serviette bourrée de livres. Si au moins le chemin était droit. Mais il tourne à droite, puis à gauche, puis encore à droite mais selon un autre angle… Bref, au bout d’une heure, je me retrouve à l’endroit d’où je suis parti. J’en conclus qu’il me faut aller en ligne droite, à travers tout, en laissant le soleil à ma droite avec l’espoir de finir par couper un chemin qui soit parallèle à la route du bus. Le terrain est dégagé mais spongieux. Il est traversé de ruisselets. Mon sac à dos me fait trébucher vers l’avant. La serviette pèse de plus en plus lourd à ma main. Je me demande comment tout ça va finir…
Après une nouvelle heure de marche, le miracle ! Je tombe effectivement sur une route. Pas très large, mais goudronnée et toute droite. Elle est complètement déserte et se dirige plein Est. Je la suis sur 3 kilomètres sans rencontrer âme qui vive. Et je débouche sur une route plus large. Je la prends. A coup sûr, me voilà dans la campagne, à proximité d’un village. Une auto me dépasse. Ah ! bon signe : elle a une plaque tchèque. Puis, le long de la route, des écriteaux. Qu’interdisent-ils ? Je m’en moque. L’important c’est qu’ils soient écrits en tchèque. Encore quelques kilomètres et j’entre dans un village. Plus de doute cette fois-ci : la plaque qui en donne le nom est une plaque tchèque. Youppie ! Je suis en République tchèque ! Et je rejoins bientôt la route qu’a suivie le bus après que j’en ai été débarqué.
L’endroit est étonnant. Un gigantesque marché aux fripes. Sur des hectares. Et des nains de jardin. Des escouades, des bataillons, des régiments de nains de jardin…Mais je ne m’attarde pas à ce spectacle. Et les choses vont alors très vite. Je fais du stop. Quelques minutes après, une grosse voiture allemande s’arrête. Elle me dépose à la périphérie de Prague.
Il est trois heures de l’après-midi.

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