Ce texte est publié dans notre 2e recueil d’histoires vécues : "Et la lessive …"
Elle enfile ses bottes de caoutchouc et son cache-poussière de Vichy blanc et bleu, descend l’escalier de la cave.
Elle va sortir de l’eau devenue glacée les pièces de linge qui trempent depuis la veille dans le sel de soude. Elle les tord d’un poignet ferme, les jette dans l’eau très chaude de la machine et la lance pour un quart d’heure.
Après un essorage sommaire à la manivelle entre les deux rouleaux accrochés à la machine, elle plonge le linge dans l’eau de la cuve de cuivre où elle a râpé une brique de savon de Marseille, blanche et moelleuse, douce aux mains.
Elle y rajoute une poignée de cristaux de soude et allume le gaz sous la cuve où le linge cuira une demi-heure, brassé par les pales de bois qu’une roue, actionnée par la courroie du moteur, fait tourner dans un sens, puis dans l’autre, jusqu’au premier bouillon.
La vapeur lourde envahit peu à peu la cave, tandis qu’elle met en marche une deuxième, puis une troisième machine et prépare les tines d’aluminium (deux rondes et une ovale) où elle rincera le linge après l’avoir lavé une deuxième fois dans son eau de cuisson et essoré à fond à la grosse essoreuse. Dans la cuve ovale, celle du troisième rinçage, elle secoue la petite boule de coton remplie de bleu destinée à communiquer aux blancs le super reflet.
Ni trop ni trop peu.
Elle ouvre la porte sur l’escalier du jardin, pour aérer, et monte à la cuisine préparer l’amidon où seront passés les cols et devants de chemise d’homme, les bordures brodées des draps de lit et les taies.
Ni trop ni trop peu.
Juste pour raidir et briller tout bien sous le fer à repasser.
Quand le linge est disposé, défroissé, dans la manne d’osier, elle le monte jusqu’au-dessus de l’allée, en face du cerisier.
Essuie le fil de fer avec un chiffon propre. Un à un accroche caleçons et chemises par le pan, culottes et mouchoirs sans un pli, tétras et langes, petites camisoles. Et sur un autre fil un peu plus haut, les draps de lit et les taies assorties.
Après, avec toutes ces belles eaux encore propres, elle va savonner à la brosse à poils durs, racler et rincer abondamment à grands seaux jetés les pavés des trois caves, dans le joyeux « froutch froutch » des bottes.
Puis, après avoir enfilé des vêtements secs et avalé un cachet d’aspirine (pour éviter les frissons glacés d’après-lessive et l’éventuel refroidissement), elle ira contempler toute cette blancheur et ces couleurs fraîches bien alignées dans le vent.
Et si le temps est beau, si le petit repose, elle aura peut-être le plaisir de commencer le repassage aujourd’hui, et de pouvoir jouir de ce parfum offert par le linge tout imprégné du dehors.
Elle est fière et heureuse.
Elle aime.