Mado.

Tu n’as pas le droit !
Je te déteste pour ta lâcheté.
Qui te permet de penser que c’est la meilleure solution pour moi ?
Je sais tout de même, et mieux que personne, ce qui est bon pour moi et je pensais que tu le savais aussi.
C’est toi ma vie et je ne veux rien d’autre !

Tu es là sur ce lit d’hôpital, aussi pâle que les murs de cette chambre, les yeux clos, un très léger sourire sur tes lèvres bleuies.
Tu sembles si sereine alors que moi je hurle du fond de mon cœur, du fond de mon âme.
Je hurle cette colère sourde, terrible et muette.

Tu ne peux pas m’abandonner !
Je regarde cette lettre qu’une infirmière m’a remise et je la relis pour la énième fois.
Je parcours cette belle écriture, si soignée, si régulière et je me refuse à croire les mots qui y sont tracés.

Je suis à la terrasse de la cafétéria du campus, plongé dans un bouquin de psychologie infantile.
Elle s’approche de moi et me dit :

 Excusez-moi, pourriez-vous me dire où se trouve l’auditorium de psychologie ?
J’ai levé la tête et me suis retrouvé face au plus beau sourire que j’aie jamais vu après celui de ma mère.
Je suis si fasciné par ses yeux d’un marron ambré que j’en reste bouche bée.
Elle doit me prendre pour un demeuré à rester là, la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau.
Je ne croyais pas au coup de foudre mais là je le vivais en « live ».
Un jour je lui ai demandé :

 Pourquoi moi, qu’est-ce que tu me trouves ? Tu es si raffinée, si belle si intelligente, si...

 Tu es attendrissant. Ton aplomb, ta candeur, ta fraîcheur, ta joie de vivre m’apportent ce souffle d’air vivifiant que je ne ressentais plus. Je suis aussi flattée de savoir que je peux encore plaire à mon âge et de surcroît à un homme de l’âge de mon fils.
Mado, tes doutes, ta pudeur, ta fragilité me donnent envie de te protéger ; je me sens capable d’affronter le monde entier pour t’éviter de souffrir.
Je me fiche des regards curieux, moqueurs ou indignés que nous lancent les gens.
Je suis tout à mon amour, tout à toi et plus rien ne compte pour moi que ta douce présence qui envahit tout mon être. Je voudrais que la terre entière sache ce que tu représentes pour moi mais les mots me manquent pour décrire ce que je vis et ce que je ressens à tes côtés.
Je sais que pour toi c’est plus difficile. Tes enfants refusent de te voir et t’interdisent même le contact avec tes petits-enfants. Cette absence te ronge mais je suis là moi ! Je comblerai ce vide, et tous les manques et toutes les frustrations.
Je me sens la force d’un géant quand tu te fais toute petite entre mes bras. Je suis invincible et je vaincrai quiconque s’attaque à toi.
Je sais que tu me trouves déraisonnable, passionné, fou. Je ne suis rien de tout cela, ou bien si, je suis fou de toi, passionné par ce que tu me donnes et l’existence sans toi n’a plus de sens.

Tom, mon amour,
Pardonne-moi pour les mots de cette lettre.
Je ne t’abandonne pas, je te rends ta liberté.
Je ne veux pas imaginer ce que nous serons dans dix ans, toi dans la force de l’âge, moi vieillissante et déclinante.
Je ne veux garder que le plus beau de nous deux.
Je ne supporterais pas de te voir te détourner de moi pour une plus jeune.
Je n’accepterais pas de te sentir honteux sous le regard étonné des gens. Je haïrais te montrer ce corps flétri, raidi par les années meurtrières.
Dans ma tête j’ai vingt ans ; mon corps en a soixante.
Je souffre de ta jeunesse et je pleure la mienne.
Je ne veux pas devenir une de ces femmes quicourent indéfiniment après une jeunesse révolue, quitte à friser le ridicule,.
Je veux rester telle que tu m’as connue, telle que tu m’as aimée.
Ne m’en veux surtout pas et ne pense qu’à nos moments de bonheur. Bonheur intense et délicieux.
Je ne te dis pas adieu, mon amour, je te dis au revoir car je suis sûre que nous nous retrouverons dans un monde où se retrouvent tous ceux qui s’aiment.
Mado

Je pleure en silence en relisant ces quelques lignes. Certains mots sont dilués par mes larmes et semblent s’estomper mais ils restent vivants dans ma tête et à jamais gravés dans mon cœur.

Une infirmière me touche légèrement l’épaule.

 Je suis désolée, Monsieur mais c’est l’heure.
Je chiffonne la feuille de papier et la lance rageusement dans la corbeille.
Je me lève, je quitte la chambre en titubant. Je jette un dernier regard à Mado, mon unique amour, ma vie, mon désespoir.
A la porte de l’hôpital, je m’arrête un instant, je fais demi-tour et je cours comme un fou jusqu’à la chambre, fouille dans la poubelle et récupère la feuille de papier.
C’est tout ce qui me reste d’elle.
Je ne peux pas la jeter.

Fatima