Ce Week End, brocante à l’Athénée...

Le préau de l’athénée a, depuis toujours, suscité mon admiration. Le balcon accroché à l’étage comme une frise en fer forgé et la lumineuse verrière vers laquelle montent des colonnes de fer me fascinent. Du rêve, je passe à la nostalgie en voyant ce parquet où tant de générations ont refait le monde les jours de pluie.
Estampillés de gravures noircies, souvenirs de potaches aujourd’hui disparus, des bancs suédois ont été soigneusement empilés devant un plint au cuir crevassé. Bien délimités par des tables mises à la disposition des vendeurs occasionnels, six couloirs accueillent les visiteurs.
Je dis bien accueillent car les clients se promènent plus qu’ils n’achètent. Ça devient vraiment broleux ces brocantes !
En ce qui me concerne, tel un général bien décidé à passer systématiquement en revue chaque objet déposé sur les tables, j’opte pour une entrée par le couloir de gauche. Ce que je cherche ? Soit d’anciennes cartes postales avec des personnages, soit de petits ouvrages relatant un ou des évènements locaux. Bref tout ce qui peut me servir de documentation sur la ruralité d’autrefois.
J’aime laisser libre cours à mon imagination quand je regarde un objet qui a déjà servi.
Mon regard s’attarde devant une écritoire de cuir qui supporte un buvard au vert décoloré par le soleil et où s’entrecroisent des lignes écrites à l’envers. Je me penche pour essayer de déchiffrer le texte comme si j’étais le destinataire d’un message secret.
B...ien...à toi,..je..t’.......
Je diagnostique un début de romance entre une fraîche et tendre jeune fille et son prétendant. Lui est peut-être mort dans les tranchées en 1915 et elle termine sans doute sa vie sur le fauteuil plastifié d’une maison de vieux.
Le stand des vieux outils me ramènent au présent. Minute de silence en hommage au sans nom qui a fabriqué, voire mis au point le système de fermeture de cette cisaille. Tout en cuivre s’il vous plait !
« Dix euros » éructe la voix qui sort d’un corps affalé sur un fauteuil de camping bancal. Je souris et me débarrasse du vendeur en lui soufflant : « ça le vaut bien ! »
Ha, des livres. Mmm, pas tous anciens. Une série d’OSS 117 avec chaque fois en couverture une topless hiératique au regard vide. Une dizaine de livres de la collection du Reader Digest... Pas de quoi fouetter un chat. Caisse suivante, rien que des livres de guerre dont un à la gloire des bérets verts. Si j’en crois le tatouage sur son épaule, le vendeur a dû servir dans les commandos. Je dis « a dû » car le tissu du sacro-saint fauteuil de camping d’exposant est tendu à l’extrême par des cuisses obèses engoncées dans un training qui fleure la « frite-mayo » hebdomadaire.
Juste à côté, engoncés dans un visage aussi émaciée que celui d’un prof de latin retraité, deux yeux de fouine balayent sans arrêt un étal où se côtoient « les Egyptiens » édités par la Procure à Namur, « les mémoires du général de Gaulle » en Livre de Poche et, oh surprise ! Un opuscule sur « Les Fermes de la commune fusionnée de Gembloux ».
La terre de mon enfance, enfin plus précisément l’ancienne commune de Grand-Leez. J’ouvre et parcours les pages jaunies. Ici la ferme Garot et là devant chez Huguette une vue dont j’ignorais l’existence.
Le prof n’a pas soufflé mot du prix. Il sait que je sais que ceux-ci sont indiqués en première page. Ils y sont inscrits au crayon, en francs belges barrés avec un sous titrage en euro augmenté à l’arrondi. Pourtant je ne sais quel geste involontaire a dû trahir mon émotion devant cette découverte car le pion brocanteur me persifle : « Vous connaissez ? »
« Oui, j’y suis né » répondis-je.
« Alors ceci pourrait vous intéresser » dit-il en me tendant un album de photos.
J’ouvre et n’en crois pas mes yeux.
Grand-mère...
Un trouble m’envahit. Fébrilement, je tourne la page cartonnée...
Papa, oncle Jean, oncle Pierre...
Je demande : « Est-ce indiscret de savoir où vous avez eu ces photos ? »
« Une dame de la région lors d’un vide-grenier, vous connaissez ? »
Pour toute réponse je lui dis acheter l’album. Voilà mis à jour le niveau de sentiment familial de tante Else. Je m’en doutais un peu mais de là à humilier la famille en nous obligeant à payer une rançon pour libérer de l’encan les sourires affectueux de ceux qui nous ont quittés, il y a une marge ! De quel droit peut-on offrir l’intimité à la vente ? Elle doit être franchement mal dans sa peau la vieille tante.
J’achète aussi le livre des fermes. Au prix fort car mon talent de négociateur est complètement annihilé par l’émotion.
Je demande s’il y en a d’autres comme le commandant des pompiers qui s’inquiète de savoir si toutes les victimes du sinistre ont été sauvées ?
Il me répond « Non, j’ai juste récupéré l’album photo. Je l’ai gardé sous la table car j’estime qu’il ne doit aller qu’à des personnes motivées. Je ne sais pas si c’est la même chose pour vous mais c’est quand même la vie privée, non ? »
« Je vous remercie, monsieur, j’aime la façon dont vous pratiquez votre hobby. Bonne continuation ».
Ses yeux clignent une et une seule fois et comme on replie un mètre pliant, il se rassied sur son fauteuil... de camping...agrémenté d’un coussin bordeaux.
Je suis maintenant devant des pulls roses en grosses mailles parsemées d’étoiles dorées et argentées.
Et voilà l’inévitable stand des poupées barbies, des CD sûrement piratés, des chemises encore sous cellophane sans parler des GSM et autres gadgets fluos et kitchs à souhait. Je presse le pas et ne peut éviter les chicots teintés de nicotine qui servent de sourire à la vendeuse quinquagénaire.
Je plane au dessus des collections de cendriers et des chopes à bière. Je n’ai pas de sentiment pour les angelots asexués qui ont dû entendre de tout au cours de leur vie sur les meubles de salon mais dont le regard ne semble avoir jamais connu la méchanceté humaine ni en vrai ni à la télé, qu’ils se sont tapés tous les soirs.
Six tables d’une marchande de fringues précèdent celle d’une maman qui a dû se résoudre à vendre les chevaux bleus e la gamine que j’imagine loger ce week end chez son père. Comme pour accentuer sa tristesse, les deux tables qui suivent sont vides.
Quatre tables hébergent des peintures sur toile. On y voit des rouges et du bleu sur des paysages verdaches et sans relief.
Entamant le sixième couloir, je me heurte le genou au sac qui contient les seuls achats de ce jour et je pense : « Méprisante tante Else ».

Enfin me voilà à la sortie où grillent les hot-dogs et se réchauffent le jaune des Pils.
Rien de terrible dans cette brocante, comme d’hab...

Marc