Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble

Toutes les années passées à la Comptabilité ont été éprouvantes. Il fallait que je houspille tout le monde, du dernier commis à qui on avait confié la préparation du budget de son service jusqu’au directeur général à qui il fallait faire comprendre que sans budget il n’aurait aucun moyen d’agir.

J’ai appris à me débrouiller dans les arcanes du Parlement, me retrouvant soit dans les salles de Commissions, soit en séance plénière. Celle-ci se tenait dans l’hémicycle que l’on voit si souvent à la télévision. Il y avait une tribune réservée à l’Administration et lorsque le Ministre devait avoir une réponse à une question, il l’écrivait et un huissier tout chamarré tendait la missive au bout d’une perche et la réponse prenait le même chemin ! Je pense que maintenant ça se passe par téléphone !

J’étais sans cesse sur la brèche, et rapportais presque toujours du travail à la maison. C’était un travail passionnant, parce que nous étions un Ministère à part. En effet, les autres Ministères , pour la plupart du temps, sauf peut-être aux Travaux Publics (régionalisés d’ailleurs) ne faisaient que du travail administratif. Nous, nous devions faire face à des épizooties, chercher des vaccins, diriger un Jardin Botanique, une Direction de la Recherche agronomique et un service de la Pêche Maritime ! Nous devions lutter contre la mafia des hormones et protéger les vétérinaires agréés, nous devions suivre les directives européennes pour passer d’une agriculture extensive à une agriculture plus respectueuse de l’environnement et nous barricader chaque fois que les agriculteurs en colère descendaient sur Bruxelles !

J’étais bien vue des gens du Budget, parce que je comprenais leur langage (abscons pour les non-spécialistes mais palpitant quand on a compris toutes les ficelles) et que je ne craignais pas d’innover en les invitant à des réunions de travail au lieu de les traiter en ennemis.

Petit à petit cependant, vers mes 58 ans, voyant que mon nouveau Directeur (en l’occurrence une Directrice) s’en tirait très bien et assimilait rapidement tout ce système incroyablement compliqué au point de vue administratif mais qui demandait en plus une grande symbiose avec tous les gens impliqués, je me suis dit qu’elle pourrait reprendre le flambeau en se contentant d’une aide matérielle pour l’établissement des tableaux et la préparation des documents budgétaires. J’ai donc commencé à penser à demander ma pension à 60 ans au lieu des 65 qui m’auraient valu une pension complète.

J’ai eu là une des rares prémonitions que j’ai eue dans ma vie. En effet, aux élections de 1999, qui eurent lieu après la crise de la dioxine qui avait secoué toute la Belgique, les Verts ont triomphé. Il n’a pas fallu longtemps au nouveau pouvoir pour décider de régionaliser entièrement l’Agriculture, sauf une cellule qui devait rester en contact avec l’Union européenne, celle-ci ne reconnaissant que les ministres nationaux et non régionaux. Si j’étais restée, j’aurais dû démanteler tout le travail que j’avais accompli et travailler à répartir les crédits entre les différentes régions.

Je commençais d’ailleurs à en avoir marre depuis un bout de temps. Même avant ces élections, la vie était devenue intenable. Le gouvernement et particulièrement le Ministre de la Fonction publique, avait décidé de réformer ladite fonction publique. Il n’était plus question que de mandats de cinq ans pour les fonctionnaires généraux, après lequel leur travail serait jugé, les promotions se feraient après des “assessments” (espèce de jeu de rôles conçus pour juger des capacités de réagir d’une façon appropriée dans des situations imaginaires) et nous étions constamment assommés par des réunions confiées à prix d’or à des gens du privé, qui devaient nous “motiver”. Evidemment ils ne comprenaient rien à ce qui se passait dans un ministère et nous inondait de termes et de notions américaines, alors que nous appliquions toujours des règles que dataient de 1830 ! Je les aurais volontiers ignorés mais j’y allais par loyauté envers les plus humbles du service qui ne comprenaient pas ce qu’on leur voulait et qui faisaient loyalement leur travail, même s’il s’agissait de passer le courrier à la timbreuse !

Aux dernières nouvelles, cette soi-disant révolution, appelée “Copernic”, s’éteint de sa belle mort, non sans avoir laissé de nombreux dégâts derrière elle. J’apprends par la presse que les nominations politiques n’ont pas dit leur dernier mot et on me dit qu’il est aussi difficile qu’avant de diriger un service, malgré les pointeuses et les “primes de rendement” (tout le monde estime y avoir droit !)

Malheureusement cette retraite tant attendue (je ne manquais pas de projets, j’en ai accompli beaucoup et je ne m’ennuie jamais) a été assombrie par la maladie de ma soeur. C’est le coeur lourd que je suis partie au mois de mai 2000, que j’ai assisté au mariage de Stéphane et à la communion des filles, en sachant qu’elle allait mourir bientôt. Je garde d’elle le souvenir de quelqu’un d’absolument extraordinaire, faisant tellement partie de ma vie mais tellement différente. Elle avait osé tellement de choses avant les autres, divorcer, avoir un amant, le quitter, se remarier, envoyé dinguer sa belle-mère et ses belles-soeurs, s’habiller extrêmement chic et puis ne plus vivre qu’en jean avec pour unique passion, d’abord un chien puis un cheval ! Elle avait appris à conduire sur le tard, alors que je n’y ai jamais réussi. Elle avait son franc-parler et était même brusque et presque toujours excessive. Elle était devenue complètement différente de la “petite soeur” de mon enfance. Quand elle est partie, pour moi ça a été un choc terrible.

2 commentaires Répondre

  • solo Répondre

    je reviens surtout sur la derniere partie de votre article ou vous parler de votre soeur et de votre admiration pour elle.je me retrouve dans toutes les étapes de sa vie ( j’en suis a la période chien).savait-elle que vous l’admiriez, moi aussi j’ai une soeur et je doute qu’elle m’admire( mais qui sait) je suis plutot le vilain petit canard de la famille ;je suis en retraite moi aussi depuis quelques mois et très franchement je ne sais pas si j’y survivrai.j’aimais tant mon travail ou je voyais beaucoup de monde, que j’ai du mal a prendre pied dans cette nouvelle vie.j’espère que ce message vous parviendra car je débute sur internet.

  • Anne-Marie n Répondre

    Merci Suzanne. J’été heureuse de te rencontrer. Je me suis souvenue grâce à tes récits de tas de souvenirs oubliés de mon enfance et de mon asdolescence.Bon vent à toi. Anne-Marie

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