Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble

Il faut savoir que puisque le dimanche matin mon parrain venait, et plus tard nous-mêmes et nos enfants, il régnait une grande animation dans cette petite cuisine. En plus de la préparation des croquettes ou autre plat, ma mère faisait toujours de la soupe. Il s’agissait d’abord de mettre un os à bouillir, d’abord à petit feu et en écumant constamment, puis lorsque le bouillon était clair (si l’eau bouillait trop vite, l’écume ne montait plus et le bouillon n’était pas clair), on ajoutait les légumes et nous mangions à part la moelle de os, sur des croûtons de pain grillés au four, avec un peu de sel. C’était bon ! Pour la soupe aux poireaux, ma mère faisait étuver à part, à feu doux, les blancs coupés en rondelles. Lorsque les pommes de terre et le reste des poireaux étaient cuits, on les passait à la passoire avec poussant avec un pilon et puis elle ajoutait les blancs qui fondaient sous la langue. Ma mère méprisait le passe-vite, elle trouvait que la soupe n’était pas aussi bonne, surtout dans le cas de la soupe aux tomates. En effet, les tomates étaient cuites avec leur peau, pour avoir plus de goût. La passoire ne laissait pas passer les peaux , ce que faisait le passe-vite. Il y avait aussi la soupe julienne, avec poireaux, céleris et carottes, le bouillon lorsqu’il y avait du bouilli (servi chaud par après avec des carottes cuites dans une partie du bouillon, des pommes de terre et de la moutarde), la meilleure était cependant la soupe verte. La soupe verte avait plusieurs variantes, suivant la saison. Sa base était le cerfeuil, qu’elle hachait à grand bruit, sur un hachoir, planche bordée de bords verticaux sur trois côtés de façon à ne pas envoyer les herbes dans tous les environs, armée d’une hache à manche court. Une fois le cerfeuil dans la soupe, elle y ajoutait selon les possibilités, des feuilles de pourpier, des rondelles provenant de la partie plus dure d’asperges qui seraient servies en sauce blanche, des petits pois frais ou du riz.

Nous mangions tous les jours des légumes, sauf avec le steak (nous n’avions bien entendu jamais du “filet pur” ni de l’”entrecôte” mais généralement du “contrefilet” bien goûteux lorsqu’on avait retiré toutes les “kneures” et la graisse) ou le poisson qui étaient servis avec des frites, mais sans “salade”. Ce que nous appelions “salade” était de la laitue. On n’en mangeait qu’en été avec de la viande froide ou du saumon en boîte, le tout accompagné de pommes de terre rissolées (jamais de “filet américain”, je suppose qu’on se méfiait de la viande crue) . En hiver nous mangions de la mâche, que nous appelions “salade de blé”. Ma mère montait bien entendu sa mayonnaise à la main. Je n’ai jamais su le faire, parce que quand je me suis mariée, ma tante m’a offert un “mixoup” qui faisait la mayonnaise beaucoup plus facilement mais elle n’était pas aussi bonne. Pour faire la mayonnaise comme ma mère (et ma belle-mère, qui faisait la meilleure), il fallait déposer dans une assiette à soupe un jaune d’oeuf, un rien de moutarde, sel et poivre, et en tournant inlassablement la fourchette, réaliser un mélange avec l’huile d’olive qui coulait goutte à goutte de la bouteille qui avait un bouchon spécial. On ajoutait de temps en temps un rien de vinaigre et on tournait toujours avec une attention sans relâche sous peine qu’elle “tourne” et ne “monte” pas.

Les légumes étaient toujours de saison et du pays. Il y avait quelques légumes en boîte, mais ma mère se méfiait des boîtes. Il n’était bien sûr pas question de surgelés. En hiver, nous avions des chicons braisés tout doucement, ils étaient plus amers que maintenant mais nous adorions le bout des feuilles presque caramélisés. Il y avait aussi des épinards, dont il fallait enlever les tiges, tâche qui nous revenait souvent. Il fallait ensuite les laver de nombreuses fois, les faire “tomber” dans la casserole, les égoutter, en faire des boulettes en pressant l’eau puis les hacher. On les mangeait ensuite tels quels, avec du beurre frais qui fondait à la chaleur des légumes (le fameux “beurre dans les épinards”) ou alors dans le stoemp. Il y avait aussi toute la famille des choux. Les choux de Bruxelles (sprotjes) étaient les plus faciles à faire. Il fallait les choisir petits et bien fermes, de préférence après les premières gelées. On les cuisait à l’eau bouillante mais sans les laisser se ramollir, après quoi, une fois égouttés, on les tournait dans le beurre après avoir donné un tour de moulin à poivre et quelques coups de la noix de muscade sur sa petite râpe spéciale. Pour le chou vert et le chou rouge, c’était une autre histoire. Le chou vert était débarrassé de ses feuilles extérieures très vertes, coupé en morceaux, blanchi à l’eau bouillante, essoré et roulé en boulettes, hachées comme les épinards. Ce hachis de chou vert retournait alors à la casserole, mijoter dans le beurre. Un délice ! Le chou rouge, après avoir été détaillé en fines tranches, cuisait lentement sur le coin du feu, accompagné de pommes (des Boscoop, les meilleures pour le chou. Ce n’étaient pas des pommes de table, mais j’aimais quand même bien les manger, elles avaient un petit goût acide que j’aimais). Avec le chou rouge ma mère confectionnait souvent ce que nous appelions une “automobile”, appellation inventée par sa propre mère. Après avoir cuit le chou rouge, fait une purée et cuit des saucisses, on mettait le tout par couches dans un plat à gratin qui ressortait tout fumant du four, les traces de la fourchette qui avait égalisé la purée étant brunes et craquantes. Du temps de ma grand’mère on servait en coupant dans les saucisses rangées en long dans le plat, et on voyait des ronds qui faisaient penser aux roues d’une automobile, nouveauté dans ce temps-là.

Les carottes revenaient aussi régulièrement, coupées en fins bâtonnets, cuites avec de l’oignon haché et doré préalablement et une feuille de laurier, ou alors des blancs de poireaux ou des salsifis en sauce blanche. Nous avions horreur par contre de l’endive, qu’on servait soit avec une sauce blanche soit en stoemp. Je n’en plus jamais mangé depuis mon mariage.

Nous avions de temps en temps de la choucroute qui s’achetait crue dans ce temps-là. Elle devait être rincée à plusieurs eaux pour éliminer le sel superflu et mise à cuire tout doucement pendant trois heures avec des baies de genièvre, un gros morceau de lard délicieusement gras et un morceau de “petit salé”. Elle était servie avec une bonne purée, je ne me souviens pas du tout de saucisses de Strasbourg, ou autres. Par contre, je sais que nous avions soif toute l’après-midi !
Nous avions aussi du boudin noir avec de la compote (pas Materne ou Delhaize, mais faite à la maison avec des pommes - des Boscoop - et du sucre, à surveiller, la compote brûlée ce n’est pas bon ! quoique un brin caramélisée, un brin ! mm !) ou alors des tranches de lard croustillantes cuites à la poêle avec des tranches de pommes. Le gras du lard qui fondait dans la poêle arrosait le plat et le reste était versé dans un bol et mis à refroidir. Nous en mettions sur les tartines du souper (bien meilleur que le saindoux du commerce dont ma mère ne voulait pas). Elle faisait une sauce à l’oignon tout à fait extraordinaire. Elle faisait fondre doucement dans le beurre les oignons coupés en petits morceaux (souvent à la cour, comme ça on ne pleurait pas ! ) sans laisser prendre couleur (ça prenait un temps fou). Une fois les oignons fondus, elle ajoutait de l’eau et de la maïzena pour épaissir et finalement un trait de vinaigre. Servie sur des pommes de terre juste bouillies, c’était un met de roi !

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1 commentaire Répondre

  • Jean Nicaise Répondre

    Bonjour Suzanne,

    Savoureuse cuisine qui fait venir l’eau à la bouche. Mais, avec une telle débauche de beurre et de graisse dégoulinant de partout, comment avez-vous fait pour garder la ligne, telle qu’on peut la deviner sur votre photo ? Les autres membres de votre famille ont-ils échappé à l’obésité ?

    Vos papilles ne semblent pas aussi sollicitées par la cuisine moderne. Combien l’on sent de nostalgie dans vos descriptions ! Elle fait penser à cette phrase de Montaigne : « Qui vit jamais vieillesse qui ne louât le temps passé ! » Excusez le mot « vieillesse » qui ne vous convient certainement pas et qui a d’ailleurs disparu lui aussi de nos usages modernes. Je traduis en langage contemporain : âge d’or...

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