Extrait de "Nous racontons notre vie" 2020-21

Présentation

Je suis né au Burundi en 1951. Mon père était commerçant et ma mère femme au foyer et agricultrice. J’ai fait des études primaires dans mon village et l’école secondaire chez les missionnaires, à 50 km. Quand il y a eu des troubles au Burundi, nous avons été obligés de nous réfugier au Rwanda. Je suis arrivée en Belgique en 2000.

Mon père

Un très beau souvenir ? J’ai suivi l’école primaire au Burundi jusqu’en 7ème préparatoire. À cette époque, on passait l’examen du certificat national qui nous permettait ensuite d’aller à l’école secondaire. Nous étions 36 élèves en 7ème mais 7 seulement l’avaient réussi. Le jour de la proclamation, nous avons mis de beaux vêtements. Nous nous sommes rendus à l’église pour la remise des certificats. C’était une grande fête. Nous étions fiers. Il y avait une foule de gens venus voir les résultats et chaque fois qu’on appelait quelqu’un, il y avait des applaudissements. J’ai reçu mon certificat de la main du directeur. Mon père était encore plus fier que moi. Je lui ai donné mon certificat. Il l’a mis sur son cœur et il a dit : « voilà, c’est mon premier diplôme ! ».

Je me souviens d’un cadeau un peu spécial de mon père. C’était un petit sac qu’il m’avait acheté comme cartable. Ce sac était très beau et j’étais très fier de le porter. Ce qui suscitait une certaine jalousie de mes collègues d’école. J’aimais l’école et mon papa m’y encourageait. Il me donnait des petits calculs pour m’exercer. Il n’avait fait que les 5 années primaires mais il était très fort en calcul mental. Et quand je réussissais cela, j’étais sûr de réussir aussi à l’école. Mon père me félicitait : « mon fils tu seras quelqu’un ! ».

Comme j’étais le fils ainé je mangeais à table avec mon papa. Les autres mangeaient assis sur la natte. Comme mon papa était très plus respecté, je me considérais privilégié.

Ma grand-mère

Mes parents, grands-parents et arrières- grands-parents ont toujours habité dans le même village, à Mugara, au Burundi, pendant 10 générations. J’avais des relations particulières avec ma grand-mère et je l’aimais beaucoup. J’allais souvent passer la nuit chez elle. Je l’appelais grand-mère mais je n’imaginais pas que c’était la mère de mon père. Elle était très affectueuse envers ses petits-enfants, nous étions nombreux. Elle avait l’habitude, certains jours, d’organiser de petits festins pour nous. Elle préparait de la viande, du poisson, des légumes, des bananes à cuire. Elle était très heureuse. Comme elle n’était pas la seule épouse -il y en avait trois autres- et comme ces épouses-là se moquaient d’elle quand elle n’avait pas encore de petits-enfants, elle a été très fière ensuite d’en avoir autant et de les montrer aux autres femmes.

Ma grand-mère était robuste et faisait du commerce, elle portait des poids importants sur sa tête. Elle était très sévère avec ses garçons, avec mon père quand il était adolescent car le garçon doit incarner la force et gérer la famille. Mon père avait construit une maison en brique avec un sol en ciment. Ce ciment brillait et quand ma grand-mère venait elle avait très peur de marcher dessus car elle croyait que ce ciment brillant allait éclater. Elle marchait donc tout doucement.

Quand elle est devenue veuve, par tradition, ma grand-mère a épousé le petit frère de son mari. Lui il était déjà marié, donc il avait plusieurs femmes. Elle est décédée en 1966, suite aux troubles dans le pays.

Devenir un homme

Nous avons été élevés différemment, garçons et filles. Pourquoi ? Parce que chez nous le garçon est formé, éduqué pour devenir un homme qui va gérer la famille plus tard. Il doit veiller à sa musculature pour les grands travaux. Les filles étaient élevées pour pouvoir s’occuper de la famille et élever les enfants. La femme fait les enfants, les met au monde et l’homme joue un rôle mineur dans leur éducation.
Si on parle des travaux, par exemple fendre le bois c’est l’homme qui doit s’en occuper car on considère que les femmes sont moins fortes. Alors qu’il y a des exceptions. On voit par exemple certaines femmes qui battent les hommes. Un homme qui se fait battre n’ose pas le dire, il doit se taire car c’est une honte. Mais quand la femme a été battue, elle peut se plaindre, c’est parfois injuste. L’homme montre son autorité en faisant les courses car ainsi il domine la situation. Le garçon est supposé être fort. Il devra défendre sa famille contre des hommes qui veulent lui faire peur. Les filles doivent devenir des bonnes mères, s’occuper de la cuisine, éduquer. Aujourd’hui, cela change.

Moi je fais quelque peu exception car je trouvais que ma mère était trop chargée par mon père. Je voulais l’aider mais mon père n’était pas d’accord. Il me disait ; tu vas être comme une femme, tu ne dois pas t’occuper des travaux féminins. Mais moi j’avais pitié de ma mère, je l’aidais pour garder les enfants quand elle devait aller faire des travaux des champs et je faisais aussi la cuisine.

Quand j’ai eu mes enfants je les ai éduqués à être des touche-à-tout et à savoir tout faire. Ne pas laisser sa femme faire tous les travaux ménagers seule. J’ai un garçon, un homme à présent qui s’occupe plus de la cuisine que sa femme. Il sait très bien cuisiner. Quand il rentre du travail, c’est lui qui fait la cuisine. Mais mes enfants vivent en Occident et se sont adaptés. Ils vivent en harmonie. Mais quand on retourne au pays et qu’on fait la cuisine, les gens disent : « il se fait dominer par sa femme. Elle l’a ensorcelé ! ».

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