C’est dans une petite pièce située au niveau du garage et près de la chaufferie que, petite fille, j’ai installé ma classe. Mes poupées ou mes frères et sœur sont mes élèves. Je porte les chaussures de mariage de Maman. J’adore circuler en faisant claquer les hauts talons.

Avant tout, je prends les présences dans un grand cahier quadrillé en faisant au passage des commentaires à l’un ou l’autre. Lorsque tous les traits verticaux ou les zéros bien alignés sont terminés, je peux commencer les leçons.

Je privilégie la lecture et la calligraphie, plus tard l’analyse de phrases et les dessins aux craies de couleurs sur un joli tableau chevalet. J’ai un véritable frotteur en bois et feutre que je nettoie en tapant dessus avec une latte. Un petit seau d’eau, une éponge et un chiffon complètent la panoplie nécessaire pour avoir un beau résultat.

J’ignore jusqu’à quel âge j’ai joué « école », mais j’ai retrouvé une photo me montrant avec mon frère de 10 ans mon cadet, encore à l’œuvre vêtue de mon cache-poussière. Vu son âge sur cette photo, je devais avoir 13 ans. J’ai continué à m’occuper de lui pour l’aider à faire son travail à domicile ou même, à la demande de mes parents, pour rencontrer son institutrice.

C’est tout naturellement qu’au moment de choisir mes études supérieures j’ai opté pour l’école normale. Après ma troisième latin-grec je poursuis ces humanités anciennes et en parallèle l’école normale avec un horaire plus chargé et un an supplémentaire après la rhéto.

Je perds quelques amies, j’en rencontre d’autres. Nous sommes 7 ou 8 élèves en section latin-grec et nous avons des cours communs avec les autres sections : moderne, scientifique.

Chaque semaine nous allons par petits groupes assister aux leçons dans l’école primaire voisine, l’école d’application. J’y retrouve l’institutrice avec laquelle j’ai passé 3 ans en 4, 5 et 6ième primaire, elle aussi m’a donné l’envie de faire ce métier.

Lors des stages nous nous jetons à l’eau, nous plongeons dans la réalité. Malgré l’immense travail d’écriture des comptes rendus, des préparations, très réglementés avec un jargon bien spécifique, et les sentiments mélangés face à cela, tantôt curieuse, enthousiaste, dynamique, disponible, créative, tantôt prudente, timide, anxieuse ou encore insatisfaite, découragée, je suis arrivée glorieusement au bout de ce périple en 1970 ; J’ai 20 ans, je viens de me fiancer, l’avenir me sourit.

Je m’inscris à l ’ONEM et je cherche une école. Très vite j’ai quelques contacts pour finir par être engagée dans une école où je ferai une belle carrière jusqu’en 2005. J’y ai enseigné 13 ans en première, ensuite, vu ma qualité d’adaptation et ma créativité, j’ai enseigné à tous les niveaux ainsi qu’à des primo-arrivants, ou à des enfants différents.

Et si c’était à refaire ?
Je me suis sentie à ma juste place en faisant ce métier. Jamais je n’ai remis ce choix en question. Je me suis épanouie, amusée auprès de mes élèves, ils m’ont aussi beaucoup appris autant humainement que pédagogiquement. L’écoute, la gestion respectueuse de conflits en douceur, confiance et discrétion, la curiosité d’apprendre, le goût de la lecture, la découverte des talents de chacun, la créativité….furent mon quotidien.

Je n’étais pas la dernière à revendiquer plus de moyens et plus d’ambition pour un meilleur enseignement, moins de paperasserie, de changements de programmes selon les changements de ministres, en participant à des colloques ou des grèves et autres manifestations au sein de mon école ou ailleurs, avec ou sans résultats, mais patience…

J’ai observé qu’il y avait quelques choses à changer dans la formation des enseignants, j’ai voulu creuser cela et aussi remettre ma pratique en question et donc trêve de grève, après 10 ans d’enseignement, j’ai suivi les cours du soir de l’école supérieure de pédagogie.

Mais un choix s’est imposé après 2 ans, car concilier ma vie familiale, l’éducation de nos 3 enfants, mon métier, mes études c’était compliqué malgré le soutien de mon mari. Ma santé se détériorait, j’ai donc arrêté ces études. Par contre, j’ai continué à suivre ou donner diverses formations. Sortir de ma classe, rencontrer d’autres enseignants, d’autres métiers, d’autres méthodes, d’autres outils, faire des expériences d’animation pour des adultes, tout cela m’a permis de garder feu sacré et motivation pour mon métier.

Un seul outil m’a trouvée désemparée … l’ordinateur, c’est un autre sujet, mais je garde espoir !

Ce qui me fait un immense mais beaucoup trop rare plaisir c’est d’avoir des nouvelles ou de rencontrer d’anciens élèves.

PS une autre évidence : je n’ai plus du tout aimé prendre les présences, ni nettoyer le tableau et encore moins porter des talons hauts.

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

s’inscriremot de passe oublié ?