Les années 60 témoignent d’un bouleversement des conceptions de vie familiale, professionnelle. Le contrôle de la fécondité est à l’ordre du jour. Celui-ci modifie les relations, les rôles de chacun au sein du couple, le modèle familial et la relation famille-société. A l’époque, se rassembler et dépasser les cloisonnements philosophiques sur ces questions conjugales et familiales, est un grand défi.

Mon engagement dans le premier centre pluraliste de planning familial date de 1968. Nous étions un groupe très motivé qui regroupait Jean Corbisier de la Ligue des familles, Monique Rifflet de la Famille Heureuse, le Chanoine de Locht du Centre Chrétien ainsi que Catherine Osterrieth. Cet engagement est le fruit de mon long parcours où, avec détermination, j’ai construit ma vie professionnelle et personnelle.

J’ai eu une enfance difficile. Ma mère étant gravement déprimée et mon père alcoolique et violent, ayant lui-même beaucoup souffert dans son enfance, j’ai dû « batailler » pour commencer mes études d’infirmière.
Juin 1947, j’allais avoir 14 ans… Je voulais arrêter mes études en « Coupe-couture » et devenir infirmière. Ma mère trouva l’énergie pour sortir de son lit et déclarer : « Ou tu continues coupe-couture ou tu vas travailler ». Voulait-elle me convaincre ou faire de moi une petite employée comme elle l’avait été dès l’âge de 14 ans ? Devant mon silence, elle me présenta quelques jours plus tard, vêtue d’une nouvelle robe, achetée au marché de la Place Saint Denis, au directeur d’une petite entreprise. Sans me donner la parole un instant, il me prit 15 jours à l’essai pour trier et classer ses documents et convint avec ma mère de mon salaire. Il ne m’associa à rien comme si j’étais sourde et muette ou encore une enfant incapable d’avoir des sentiments.

Le lundi soir, après ma première journée de travail, en larmes, je suis allée voir la supérieure de l’école de « coupe-couture ». Devant mon désarroi et ma détermination, elle me proposa de parler à ma mère et à une religieuse de l’école des Ursulines de Forest qui organisaient une classe d’humanités modernes, non payante. Cette classe regroupait plusieurs années et était tenue par une religieuse âgée. Nous n’avions aucun contact avec les jeunes filles de l’école payante. Son entrée était dans une autre rue… Le samedi suivant, à pied, je me rendis à la grille et je ressentis la colère et la honte de ne pas être dans l’école luxueuse mais je maintins ma décision. Je suis arrivée à convaincre mon amie et sa maman plus souple que la mienne. Elle téléphona à ma mère qui, du bout des lèvres, donna son accord. Pendant deux ans, j’ai vécu dans une classe d’une quinzaine d’adolescentes pas toujours faciles. Chacune, soutenue par la religieuse qui avait beaucoup de patience, travaillait selon son âge et son niveau. Notre classe était chauffée par un poêle à bois qu’il fallait charger toute la journée.… A midi, nous y réchauffions notre gamelle. Nous ne sortions guère de la classe. Séparées, par une cour, des gréco-latines de l’école payante, à l’uniforme impeccable et conduite généralement par un parent, nous exprimions notre jalousie par de nombreuses moqueries. Je devais prendre un bus puis un tram et ensuite un trolleybus pour me rendre à l’école…

Deux années plus tard, en juin 1949, après avoir bien réfléchi, j’ai arrêté mes humanités modernes pour commencer des études de puéricultrice aux Deux Alice. C’était l’étape vers mes études d’infirmière. Je n’avais pas l’âge requis mais j’ai réussi l’examen d’entrée et je fus acceptée. Nous étions au cours avec les infirmières de 1ère année. J’ai travaillé à 5 heures du matin en maternité et la nuit en pédiatrie : mettre les nouveau-nés au sein, les changer… soigner et surveiller les enfants malades, faire des piqûres, prendre la température, préparer et donner les biberons… Bref je travaillais comme une infirmière diplômée… et je me préparais à devenir professionnelle. A 18 ans j’ai commencé les études d’infirmière mais en 2ème année, contaminée par la poliomyélite, j’ai du abandonner mon rêve…

Avant la création du centre pluraliste et son installation rue de Stalle à Uccle, je faisais des animations à « Aimer à l’ULB » et je travaillais également, depuis quelque temps dans un autre centre de planning. Il nous a fallu quelques mois pour organiser le centre pluraliste. Nous avons ouvert officiellement ses portes, dans des locaux définitifs, le 7 octobre 1969. J’assurais une permanence trois jours/semaine, recevais en consultations conjugales, répondais au téléphone et fixais les rendez-vous. L’équipe comprenait gynécologue, juriste et assistante sociale. Chacun avait la clé et accueillait les personnes qui avaient une demande d’aide discrète. Les débuts furent difficiles. A Noël, nous avons partagé le contenu de la caisse qui n’était pas bien lourde…

L’intervenant, quelles que soient son opinion, ses interrogations, reçoit la souffrance des personnes et les aide à ne pas se sentir jugées et à prendre des décisions. Il est bien difficile de démêler la part de l’imaginaire, des réticences personnelles, des conditions sociales, du passé, des rêves qui s’écroulent, des réactions des parents… Etre enceinte à 16 ans, avoir encore un enfant alors que l’on tire le diable par la queue ou croire que la ménopause est là alors que c’est une grossesse, autant de situations de détresse auxquelles j’étais confrontée. Quel avenir pour ce petit, pour la maman, le couple, les autres enfants ?

Lorsque j’ai débuté, je ressentais surtout une solidarité avec cet enfant à naître, capable de se battre pour vivre… Je me suis interrogée sur mon enfance et sur mes premières grossesses. En 1956, alors que j’attendais un nouvel enfant et m’en réjouissais, un médecin d’une clinique catholique, en raison de mes problèmes de santé, m’avait proposé un avortement thérapeutique. Il faut dire qu’à l’époque la contraception se limitait à l’abstinence, le préservatif ou la bien aléatoire méthode Ogino. Ce retour sur mon histoire, sur mes luttes m’a permis de mieux écouter et de mieux comprendre les femmes, les couples et les jeunes. Plusieurs fois, dans ma 2 chevaux, à mes frais, j’en ai accompagné plusieurs en Hollande pour une interruption de grossesse. Le conseil d’administration voulait l’ignorer mais manifestait sa désapprobation vis-à-vis de mes prises de position. Et puis je m’absentais une journée laissant le centre à une accueillante bénévole… Ce travail oblige les intervenants à s’interroger sur leur enfance et sur leur rapport au couple, à la naissance, à l’avortement… Le Docteur Willy Peers, incarcéré en 1973 pour avoir pratiqué des avortements à la Clinique de Namur, disait volontiers : « Si l’enfant est seul, abandonné, il survivra peut-être mais il ne parlera pas, ne pensera pas, ne marchera pas… »

Pendant 35 ans, j’ai travaillé dans deux centres de plannings familiaux. Dans ces deux centres j’ai travaillé dans une équipe pluridisciplinaire respectueuse, attentive, tolérante, se mettant en question en équipe, dans les formations et les supervisions avec un psychanalyste. Depuis 1968, bien des choses ont évolué. A l’initiative de Marc Abramovicz, de Monique Rifflet et de moi-même, nous avons créé « La fédération des centres pluralistes ». Actuellement les 22 centres existants sont fédérés, ils sont reconnus par les pouvoirs publics et les équipes se sont étoffées.

Au fil du temps, les demandes se sont élargies : grossesse inattendue, décision d’un avortement, contraception, mais aussi les droits des jeunes, l’endettement, le deuil, le divorce… Les centres sont aussi sollicités pour des animations dans les écoles ou au centre sur la sexualité, l’homosexualité, l’éducation sexuelle…
Aujourd’hui, j’ai l’impression que les très jeunes ont un accès plus facile à la contraception. Ils peuvent en parler avec d’autres jeunes, et souvent avec leur maman. Mais cela ne veut pas dire que la sexualité est devenue simple. En apparence le jeune est surinformé mais ses peurs, ses questions sur l’amour, l’attachement demeurent. Le passage à l’acte non préparé, non protégé reste une réalité. Il peut se passer sans amour par simple désir de satisfaire l’autre, d’être « comme les autres »… Mais il existe des situations plus délicates : la petite sœur sollicitée par les grands frères, abusée par un père, un adulte étranger, ami de la famille… dans un contexte de silence, de souffrance…

Dans le planning familial, j’ai rencontré des personnes de tout âge, des jeunes en quête de leur identité sexuelle, des couples, des adultes souffrant d’une séparation, d’un décès, des familles recomposées avec les problèmes entre les enfants de deux lits… Tout ceci nécessite d’approcher la douleur de l’échec, de ne pas renoncer, de tenter de comprendre les contradictions, l’incompréhension de part et d’autre, d’entendre la souffrance de chacun. Tout ce travail peut aboutir à la séparation mais aussi à un dépassement de ses blocages et à une reprise du dialogue qui laisse place à des changements progressifs de chacun et à l’analyse de ses responsabilités.

Ce travail m’a permis de me développer comme personne et de construire un vrai trajet professionnel.

2 commentaires Répondre

  • Rorsvort Jacqueline Répondre

    Concerne le texte "Le premier centre pluraliste de planning familial" par Gisèle

    Bonjour,
    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce texte de Gisèle.
    Et, forcément des souvenirs ont émergé de ma mémoire...
    Ainsi Gisèle évoque Monique Rifflet.
    Des recherches sur Internet stipulent que cette grande dame a été professeure d’Histoire à Uccle.
    Je suis quasi certaine de l’avoir eu comme prof d’histoire au lycée de Forest. Mais est-ce possible ?
    A-t-elle aussi enseigné à Forest ? Gisèle en sait peut-être plus sur la biographie de Madame Rifflet et pourrait peut-être m’aider ? En tout cas déjà merci pour avoir prêté attention à ma demande. Félicitations pour votre nouveau site très attractif ! Cordialement,

    • Michèle A&T Répondre

      Malheureusement, Gisèle est décédée il y a quelques années. ..

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