1953 : mon oncle, Jacques, frère de mon père, jamais revenu d’Auschwitz, émigre avec sa femme, leur fille, Mireille (6 ans) et leur fils, Richard (2 ans) au Canada. Volontaire bombardier de la Royal Dutch Navy, Jacques a vu la guerre et ses horreurs de trop près. Il cherche un vent de ’ liberté’ dans ce nouveau pays dont tout le monde parle. Moi, j’ai 12 ans et j’accompagne maman sur les quais du port d’Anvers pour embrasser cette famille proche que je ne reverrai pas avant longtemps.

A l’époque, bien sûr, pour avoir des nouvelles les uns des autres, il y a le téléphone (très cher) mais surtout le courrier. Les nouvelles canadiennes sont bonnes. Mon oncle a trouvé un bon boulot, puis ouvre son premier magasin d’électro-ménager. Ma tante est bénévole à la Croix-Rouge. Les enfants sortiront avec honneur de l’université.

En me rappelant les lettres lues ainsi que les découpes annexées de certains journaux locaux, je me dis qu’il y était question beaucoup plus souvent des récompenses et prix divers obtenus par Mireille que par Richard. Elle faisait du théâtre et fêtait plein d’événements. Lui allait bien et vivait en ‘kot’ universitaire plutôt qu’à la maison. Stop.

Mireille se maria, photos à l’appui. Rien de spécial à propos de son frère qui avait un bon boulot de comptable et qui allait acheter une maison.

1976 : enfin ! Nous décidons d’aller faire un ‘tour’ au Canada. La maison de ma famille est vaste, avec jardin et piscine. Ils reçoivent beaucoup d’amis, voisins et, bien sûr leurs enfants et les amis de ceux-ci. Ma cousine nous présente son mari et mon cousin nous présente un copain, Charles, professeur d’anglais. Un jour, Richard nous emmène visiter sa maison. Nous sommes accueillis par Charles, et c’est là, dans l’unique chambre à coucher avec lit double que, pour la première fois, l’évidence nous saute aux yeux : mon cousin vit ‘en couple’. Ils nous expliquent d’ailleurs avoir acheté la maison ensemble.

Ni au cours de ce séjour, ni après, nous n’avons avec quiconque abordé la question de l’homosexualité de mon cousin. Mon mari et moi étions toujours très ouverts sur le sujet et j’ai longtemps cru que c’était le cas pour mon oncle et ma tante. Ce n’est que plus tard que j’ai appris les difficultés rencontrées par mon cousin depuis son plus jeune âge et, ensuite, à partir de ses 20 ans. Cette année-là, il décide de faire son ‘coming out’. Mon oncle n’a pas beaucoup de réactions mais se demande ce qu’il a raté dans l’éducation de son fils. Les parents et amis comprennent mais finalement, dans l’ensemble, on lui donne le conseil d’aller consulter un psychiatre !

Il perdit pas mal d’amis car il faut dire que, dans les années soixante, au Canada, comme ici en Belgique d’ailleurs, la police faisait des razzias dans les seuls endroits de rencontres possibles des communautés qu’on appelle maintenant LGBT (lesbien-gay-bi-trans). Les arrestations se faisaient pour des raisons fallacieuses. Il faut ajouter à cela qu’on ne connaissait pas encore bien la façon dont se transmettait le SIDA mais on savait que le milieu gay était fortement touché.

L’impact religieux judéo-chrétien pesait également lourdement sur la communauté gay. Mon cousin et son ami préféraient donc vivre ouvertement mais prudemment. Dans les années 80/90, les tensions envers la communauté sont toujours très ressenties par le couple. A cette époque, Richard a voulu venir à la rencontre de plusieurs membres de sa famille restée en Europe. Lors de son séjour chez nous, nous avons ressenti une sorte de mal être et nos conversations sont restées ‘prudentes’ et surfaient plutôt sur la manière générale dont vivaient toujours les gays dans le monde occidental. Ce n’est, d’ailleurs, que récemment qu’une autre cousine m’a raconté que lors d’une rencontre avec Richard, encore étudiant, celui-ci lui avait ‘avoué’ son penchant pour les hommes. Il lui avait fait jurer de n’en parler à personne. Elle a tenu parole.

Je suis retournée au Canada il y une dizaine d’années. L’accueil y fut des plus chaleureux. Les tensions, enfin, apaisées.

Richard et Charles fêtent, l’année prochaine, les 50 ans de leur couple.

1 commentaire Répondre

  • JeannineK Répondre

    Kitty,

    J’ai connu beaucoups de jeunes homos dans ma jeunesse. Nous fréquentions les même cours de théâtre à l’Académie de la ville de Bruxelles.
    Si charmants, si attentionnés, très discrets,sincères dans leur amitié.

    j’appréciais leur compagnie et jeune ille je me disais ’dommage’

    Ton texte me fait réfléchir :
    Je n’ai aucune gêne, aucun préjugé et pourtant fréquenter intimement un couple homo provoque encore une certaine gêne.

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