Début des années 1980, le SIDA fait des ravages dans le monde entier. Les homosexuels sont pointés du doigt. Aucun traitement ne vient en aide à cette épidémie.

Je suis assistante auprès d’un médecin qui a mis au point un traitement améliorant sensiblement l’immunité de ces malades. Les informations circulent très vite dans cette sphère très fermée et il y a urgence. Les patients affluent.

Je rencontre de plein fouet et dans des circonstances dramatiques, un monde que je ne connais pas. Dans mon esprit, à l’époque, un homosexuel est un homme efféminé, très mal accepté par la société bien-pensante, vivant dans la discrétion. Point. N’étant pas confrontée à cette différence dans mon entourage, je ne me posais pas de questions.

Au-delà de l’accompagnement, de l’écoute de toute cette détresse, j’ai découvert de très belles personnes, notamment, une amitié particulière et profonde avec mon regretté Christian.

Il se présente au cabinet médical pour un rendez-vous…et un « quelque chose » se passe. Il pourrait être mon fils. C’est un joli blondinet aux yeux bleu acier malicieux. Comme la plupart des autres patients homos qui consultent, il n’est pas du tout efféminé bousculant tous mes clichés et préjugés.

Très rapidement nous devenons amis. Nous nous voyons hors cadre médical. Il se sent rassuré avec moi. Relation empathique, chaleureuse. J’adore son humour, son intelligence, sa curiosité, son sens artistique. Il m’a fait rentrer dans le monde de l’homosexualité, dans SON monde. Ce ne fut pas toujours facile. J’étais perçue comme une intruse, on se méfiait. Une fois la glace brisée, je m’y suis fait pas mal d’amis.

J’ai entendu combien il était douloureux de vivre sa différence en se faisant insulter, culpabiliser, agresser, rejeter. Le désespoir aussi devant l’incompréhension de beaucoup de leurs parents.

N’ayant pas d’alternatives devant cette mort programmée, Christian et moi nous inscrivons à toutes sortes de séminaires, conférences, ateliers, etc…prétendant apporter des solutions à cette maladie. Du réconfort au charlatanisme, notre ascenseur émotionnel est mis à rude épreuve.

C’est dans ce cadre que je côtoie beaucoup d’hommes, la plupart très jeunes, et une jeune fille, infectés par ce virus. Je les suivrai jusqu’aux derniers moments, le plus souvent à Saint Pierre ou à Saint Luc où des unités particulières avaient été ouvertes comme maintenant avec la Covid.

Christian me disait : « chez les homos tu trouveras beaucoup d’infirmiers, restaurateurs, artistes, coiffeurs, antiquaires, … ». Toutes des professions nécessitant de la sensibilité, de l’esthétisme. Mais pas que !
Christian n’était rien de tout cela mais c’était un délice de partager avec lui, un film, une exposition, un concert. Amusantes aussi, nos discussions chiffons. Il attachait beaucoup d’importance à l’élégance, à l’harmonie des couleurs, à la décoration.

Vu la gravité de la situation, les échanges avec mes amis homos furent empreints de profondeur, d’essentiel, de chaleur humaine et aussi de franches rigolades, d’humour, d’autodérision.

Christian est parti pendant l’été 1984.
Il m’a ouvert les yeux et le cœur sur l’homosexualité.
Merci Christian.

1 commentaire Répondre

  • JeannineK Répondre

    Lucienne,
    en lisant ton texte je me souviens de certains copains homos qui manipulaient l’auto dérision et l’humour avec brio.

    Ton écoute, tes échjanges ont été fort impoortants.

    C’est vrai que leur sensibilité les rend vulnérables mais aussi très attachants
    .
    Heureusement notre époque est ouverte enfin à la différence.

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