Lorsque j’ai eu 5 ans, j’ai vécu ma première rencontre avec la mer. Jusqu’alors je ne savais pas ce que c’était. J’en entendais parler, les gens disaient, cet été nous allons à la mer, comme on dirait nous allons au jardin, ou à la banque. Le mot me plaisait, il me faisait penser à ma mère, mais je me doutais bien que ce n’était pas cela. Souvent je me posais la question : comment est-elle ? Est-elle jolie, souriante ou bien laide et sale ? A l’époque de mes 5 ans, juste après la seconde guerre, il n’y avait pas de télévision et personne ne pensait à me montrer des photos, alors je l’imaginais le soir, avant de m’endormir.

Les temps étaient difficiles après la guerre. Mes parents ne pouvaient pas s’offrir le luxe de partir en vacances. Nous n’avions pas de voiture, il aurait fallu aller à l’hôtel, et 5 enfants, cela coûtait cher. Alors, l’été, nous restions à la maison. Nous avions la chance d’avoir un grand jardin avec des poules, des lapins, des pigeons. Tout cela nous occupait beaucoup.

L’année de mes 5 ans avait sans doute été une bonne année pour mes parents. Leur situation s’était améliorée. Mon père avait acheté une voiture fourgonnette d’occasion qu’il arrangea à sa façon pour y mettre toute la famille : mon frère, mes trois soeurs et moi. Et un jour d’été, il nous annonça fièrement que nous allions partir en vacances au bord de la mer. La surprise était si grande que je n’en ai pas dormi de toute la nuit, tellement j’étais excitée. Cela me paraissait loin. Une vraie expédition, presque un voyage sur la lune. Les jours suivants, j’annonçais notre départ à la mer à tous les gens que je rencontrais, à la boulangère, l’épicière, au facteur etc...

Je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse dans mon enfance, que dans ce moment-là, lors des préparatifs du voyage. Ma mère m’acheta un beau maillot de bain, une pelle, un seau et un râteau pour, disait-elle, construire des châteaux de sable. Je ne savais pas à quoi cela ressemblait, mais je me souviens que j’ai dormi avec tous ces objets sur mon lit jusqu’au départ. On acheta une épuisette et un cerf-volant pour mon frère. Une chose compliquée avec de la ficelle emballée dans une pochette que l’on m’interdit de toucher. Je me rappelle qu’au moment du départ, la voiture était trop chargée, il fallait sacrifier quelque chose. De peur que l’on prenne mes affaires de plage, je les ai cachées sous la banquette arrière, sans que personne ne s’en aperçoive.

Le voyage fut interminable. Je demandais tout le temps " on est arrivé" "c’est bientôt ". Je scrutais la route dans l’espoir de voir la mer à chaque tournant. Je m’ennuyais à force d’attendre. Nous nous arrêtions souvent pour toutes sortes de raisons. Les routes, dans les années après la guerre, étaient étroites et mauvaises, avec des " nids de poule". Il fallait faire attention en doublant des camions.

C’est au moment où je m’y attendais le moins, lasse d’avoir tant attendu, que je l’ai vue. Immense jusqu’à l’horizon, d’un bleu argenté, avec des vagues qui roulaient jusqu’à la plage et des crêtes d’écume blanche.
Jamais je n’oublierai cette première fois. La sensation d’être absorbée toute entière par la vue de cette immensité liquide, au point de rester là figée, la bouche ouverte, le regard fixe, sans ciller.
Après, il y a eu bien sûr les joies de la plage, le plaisir de jouer avec l’écume, de sentir ses pieds s’enfoncer dans le sable quand l’eau se retire, les châteaux de sable, les bains de mer avec les cours de natation improvisés par une sœur aînée, et qui souvent se terminaient par des cris et des pleurs. Mais jamais je n’oublierai le moment intense de ma première rencontre avec la mer.

Les années ont passé, et chaque fois que je la retrouve, je me souviens encore de ce moment-là.

2 commentaires Répondre

  • JourdanHardy Répondre

    Bonjour,

    Quelle jolie histoire ! C’est en la lisant que je me suis aperçu que ma fille de 7 ans n’a jamais eu l’opportunité de voir la mer. Je pense que après la publication de mes articles sur le mon blog https://www.mycoupe.fr/tondeuse-barbe/philips-oneblade/ je vais m’arrangé pour l’emmener en vacances, souffler un peu l’air pur de la plage. Ce sera une belle occasion pour retrouver mes inspirations et pour vivre une belle aventure !

  • JeannineK Répondre

    Ah la mer
    merci pour ce joli récit.
    Les années passent mais les retrouvailles avec la mer du Nord sont toujours chargées d’émotions.
    Je me souviens des préparatifs de départ, l’excitation des enfants devant cette grande malle dans laquelle s’empilaient les indispensables accessoires de vacances.
    le camion du chemin de fer l’emportait quelques jours avant notre départ.
    ma mère s’angoissait pour ses couverts, moi pour ma pelle et le filet de pèche.

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