Extrait de "Nous racontons notre vie", à la Maison des Femmes de Molenbeek, 2016-2017

Enfance

Je suis né en 1944 à Matadi au Congo, à l’époque coloniale.

J’ai trois frères et une sœur. Je suis le 2ème garçon. Mes parents ont divorcé quand j’avais 5 ans. Cela a créé un grand déséquilibre dans la famille et m’a fort perturbé.

Maman est devenue très autoritaire avec nous. Elle était fort derrière nous. Elle ne voulait pas qu’on rate l’école. Nous n’échappions pas à la chicotte.

Je suis allé à l’école des Frères des écoles chrétiennes. Nous avions un uniforme blanc. Quand nous arrivions en retard à l’école, le frère surveillant nous appliquait un coup de pied aux fesses, en ayant d’abord enduit ses chaussures d’un épais cirage noir. La trace laissée sur le pantalon était la garantie de la chicotte au retour à la maison.

Chez les Frères, nous étions obligés d’aller à la messe tous les jours à 6h du matin. Si on s’absentait, la punition était inévitable. J’ai continué l’école jusqu’en 4ème secondaire. Plus tard, je suis allé à l’université à Kinshasa.

Famille

J’ai très peu connu mes grands-parents. Le père de ma mère vivait à l’époque coloniale dans la province de l’Equateur. Ensuite il s’est établi à Matadi, le grand port du Bas-Congo. Il était marin et voyageait beaucoup notamment en Europe.

A force de côtoyer les blancs, il avait acquis leur mentalité. Sa mentalité avait « blanchi ». Il faisait rêver toute la famille. On voulait copier les blancs.

C’est à Matadi que mon père a rencontré ma mère.

Mon grand-père était très exigeant, ma mère ne le supportait pas, elle avait été élevée en fille unique, gâtée par son père chez lequel elle se réfugiait à chaque difficulté.

Mon grand-père maternel est mort en mer au cours d’un naufrage en 1945.

Mon père était agent de l’Etat au ministère de la santé. Nous habitions une maison de fonction, ensuite mes parents ont acheté leur maison. Nous faisions partie des « évolués ».

Travail

Mon père était assistant médical, ma mère, monitrice de foyer ; elle apprenait aux femmes à s’occuper du ménage.

Mon ambition était de poursuivre mes études. En fin de secondaire, des chefs d’entreprise venaient dans les classes repérer les bons éléments. J’ai été repéré et j’ai dû aller travailler, je ne pouvais pas refuser le contrat. Ma première expérience de travail était assez dure. C’était en 1961. Je travaillais à la douane du port de Matadi : on devait contrôler les exportations et importations de minerais.

Le premier jour a été très difficile pour moi, car au lieu de me retrouver dans les bureaux, j’ai été envoyé au port, de nuit, avec la responsabilité de ne rien laisser passer. C’était très dur car je devais passer toute la nuit dehors et il faisait froid. La responsabilité était très importante. Ensuite, j’ai été envoyé au service litige, service très pénible car il fallait contrôler tout ce qui n’avait pas été déclaré. Je n’aimais pas travailler dans ce service. J’ai tenu le coup pendant quelques mois et j’ai été rapidement désigné comme responsable de tout l’import-export. C’était une belle promotion dont mes parents étaient très fiers. Moi aussi, j’étais très content. J’ai passé 9 ans à la douane de Matadi.

Mon premier salaire ? Je l’ai remis entièrement à mes parents. Chez nous, c’est la tradition.

En 1975, j’ai travaillé pour la Gécamines (les mines du Katanga) au Congo et ensuite en Belgique. Les structures laissées par les Belges au Congo continuaient à fonctionner. C’était la belle époque, au Congo. Je suis devenu directeur a.i. de la division diamants au Congo.

Si j’avais pu exercer un autre métier ? Je serais devenu frère religieux.

Entre ici et là-bas

En 1985, j’ai quitté le Congo pour la Belgique, afin de me former comme cadre pour la Gécamines.

J’ai eu difficile pour trouver un appartement ; on me demandait si j’étais de couleur …

Finalement, j’ai trouvé quelque chose à Louvain-La-Neuve mais je devais encore demander à la commune pour avoir des papiers d’identité ; à l’époque, c’était le bourgmestre qui décidait d’octroyer ou non ces papiers aux étrangers ; c’était la loi Gol. J’avais peur que le bourgmestre ne me les accorde pas ; finalement cela a marché ! C’était plus facile à Ottignies et Louvain-La-Neuve car le milieu étudiant était plus mélangé.

J’ai ensuite fait venir ma femme et mes enfants en Belgique dans le cadre du regroupement familial.

Je n’avais aucun problème avec mes collègues, on s’entendait très bien. Le problème venait de mes supérieurs qui craignaient que je prenne leur place.

En 1990, j’ai été obligé de rentrer au Congo. J’ai continué à y travailler pour la Gécamines.

Avec les années, les nouveaux responsables ont ruiné la Gécamines. Plus rien ne fonctionnait normalement.

En 2000, on m’a mis à la retraite, avec juste une indemnité de 3000 dollars. On m’a fait signer un papier, sans avoir le temps de le lire. Ce papier stipulait que je renonçais à tout recours.

Entre-temps, ma femme était rentrée en Belgique pour un problème de santé. Je l’ai rejointe définitivement. Au Congo, on m’appelait le « Belgicain ».

En Belgique, j’ai fait une demande de pension pour les quelques années où j’y ai travaillé. Je l’ai obtenue facilement. Je bénéficie de la Grapa, indemnité de survie octroyée aux personnes de plus de 65 ans.

Etre fille, femme, garçon, homme

Dans ma famille, tous les enfants étaient obligés de faire des études, filles et garçons mais les filles devaient aussi aider au ménage.

Dans notre culture africaine, il est inconcevable que la fille ne soit pas capable d’assumer les tâches ménagères. La responsabilité en incombe à la maman. Même quand il n’y a rien à faire, la maman montre à sa fille comment tenir un ménage. Et donc le matin avant d’aller à l’école, ma sœur devait nettoyer la maison et le soir, après l’école, elle devait préparer à manger. Pendant ce temps, nous les 4 garçons, on jouait au foot mais attention, on nous obligeait aussi à faire la vaisselle et du repassage ; on devait p.ex. repasser notre uniforme.

Mes parents étaient très sévères pour les études de tous les enfants.

J’ai 5 garçons et 2 filles. J’ai reproduit la sévérité de mes parents avec mes enfants. C’est ainsi que j’ai choisi dans quelle faculté ils iraient à l’université. J’ai obligé ma fille à choisir la médecine mais elle n’en était pas capable, cela a été un problème. Finalement, elle a changé et a choisi les mathématiques.

Les choses de l’amour chez nous, c’est tabou. Les parents nous disaient d’attendre que les études soient terminées. Jusque 18 ans, j’avais peur des parents : pas question de fréquenter les filles avant de travailler !

Un jour, j’ai ramené une fille à la maison et ma mère nous a chassés !

Quand on ramenait une fille à la maison, c’est la maman qui devait juger si c’était bien. Si la fille était d’une autre région que l’Equateur, dont nous sommes originaires, la fille était refusée.

Un jour, je suis tombé amoureux d’une fille d’une autre région, j’ai présenté la fille à maman. Ma mère m’a dit : « si ton père apprend cela, ce sera terrible ! Si vous avez des enfants, ils ne seront jamais à nous. » J’ai rompu. J’en ai été malade …

Et puis après, j’ai rencontré une autre fille, de l’Equateur, mais il fallait encore savoir si la famille était convenable. J’ai prévenu ma mère : « cette fois je n’accepterai pas votre refus ! »

Une amie à maman voulait me donner sa fille, les mères étaient d’accord : je devais choisir mais j’ai tenu bon. Les mères entre elles se sont disputées …

Je me suis marié en 1968. Nous étions ignorants des choses de l’amour. Nous avons fait comme on pouvait.

Nous avons eu 7 enfants : 5 garçons et 2 filles. Ils sont tous universitaires. Bientôt, je vais fêter mes 50 ans de mariage. J’en suis fier.

Religion

Quand j’étais enfant, au Congo, la religion était très importante. A la maternité, les sœurs, faisaient très rapidement baptiser les nouveau-nés car sinon, ils étaient des enfants du diable …

L’Eglise catholique était dominante même si l’Eglise protestante était également présente.

Mes parents étaient croyants et catholiques. Des prêtres venaient parler chez nous à la maison. Avant de manger, chez nous, on était obligé de faire le signe de croix. A l’école, le cours le plus important était le cours de religion catholique. Si tu n’étais pas bon dans ce cours, alors, tant pis pour toi, même si tu étais bon dans les autres cours. Tous les jours, j’allais à la messe avec les autres enfants à 6h du matin. En primaire, c’était obligatoire. Un moniteur vérifiait les présences. Si on ratait une messe, alors, on était puni. Tout cela, ça nous a marqué ! Je n’arrive pas à changer. Des amis ont essayé de m’entraîner dans une Eglise de Réveil mais je ne m’y retrouvais pas. Dans une église catholique, je suis chez moi, jusqu’à aujourd’hui. C’est la même chose pour mon épouse.

Aujourd’hui, je lis presque tous les jours la Bible, c’est mon objet préféré, elle m’accompagne partout. J’ai eu une enfance difficile avec des parents divorcés ; pour mon père la messe était sacrée. Durant ma jeunesse j’étais assez brutal, je n’acceptais aucune contrariété. A l’âge adulte j’ai compris que quelque chose me manquait, la Bible m’a aidé, m’a appris beaucoup de choses. La Bible me donne beaucoup de solution aux problèmes de la vie, elle me donne la paix. C’est mon livre de chevet.

J’appartiens à la « Communauté Famille Chrétienne », rattachée à l’Eglise catholique. Fondée par des Congolais, cette communauté a pris de l’ampleur d’abord au Congo, ensuite en Afrique mais aussi autre part et notamment en Belgique. On y lit la Bible et on l’interprète par rapport au présent. Il y a beaucoup de spiritualité et des cours pour expliquer la Bible. Aujourd’hui, je prêche à St Roch. Pour moi, quand je prie, Jésus et Dieu sont là.

J’ai obligé mes enfants à aller à l’Eglise catholique. Maintenant, ils sont dans des Eglises de Réveil.

Aujourd’hui je rêve de devenir un grand prédicateur dans la Communauté de la Famille Chrétienne.

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