Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « 123 j’ai vu - Des seniors d’aujourd’hui racontent leur enfance d’hier »

– J’emmène la petite chez la coiffeuse. On va lui faire une permanente, prévient ma grand-mère.

Déclaration sans appel.

Nous sommes en 1947.

J’ai 10 ans, le cheveu blond, lisse et très fin.
Toute petite, j’étais coiffée au carré, une attache solide retenant la chevelure sur le côté afin d’éviter les mèches dans les yeux, ce qui à l’époque n’était pas admis.
Raffinement extrême, l’attache était rehaussée d’un gros nœud de satin bleu ou rose, à plusieurs coques selon les circonstances, et qui doublait de volume lors de sorties habillées en famille.

A l’âge de six ans commencent les séances de frisettes. A l’aide d’un fer à friser, longue pince métallique, Maman me transforme pour quelques heures en petite fille modèle.
Attention, l’utilisation de l’outil est une procédure particulièrement délicate qui demande certaines précautions :
– faire chauffer le fer sur la flamme et tester la chaleur à l’aide d’un morceau de papier journal ;
– si le papier prend une coloration brune, le fer est trop chaud ;
– si le papier « crolle » légèrement, la température est à point ;
– surtout ne pas brûler les oreilles, ni le cuir chevelu.

De toute façon, compter une bonne heure de patience et de doute.

Donc, cette fois c’est décidé, la gamine aura une permanente. Nous allons chez la coiffeuse de ma grand-mère. Son salon de coiffure n’a rien de comparable à ceux d’aujourd’hui : un rez-de-chaussée étroit, équipé de deux fauteuils en cuir et d’une tablette flanquée de miroirs. L’odeur d’ammoniaque prend à la gorge.

Le shampoing se fera à l’aide d’une cruche d’eau chaude posée en permanence sur le poêle, la tête renversée sur le rebord inconfortable d’une sorte d’entonnoir en tôle émaillée qui n’évitera nullement à l’eau de couler dans le cou.
L’appareil de chauffage est indispensable pour maintenir un certain confort et, bien entendu, pour sécher toutes les serviettes.

Dans le salon, les clientes attendent patiemment car l’horaire des rendez-vous n’est absolument pas respecté, ce qui apparemment ne dérange personne. Ces dames se connaissent toutes et sont manifestement heureuses de pouvoir passer un après-midi à papoter et à recueillir les dernières nouvelles du quartier.

Quand enfin les bigoudis sont enroulés et les cheveux imprégnés d’une substance très irritante pour les narines, commence la torture de la permanente : de grosses pinces métalliques chauffantes reliées à un circuit électrique sont branchées sur chaque bigoudi, ce qui devient rapidement très lourd. J’éprouve de plus en plus de difficulté à tenir la tête droite et je m’interroge avec angoisse sur le résultat de ce premier rendez-vous d’esthétique.

Je vois la maîtresse des lieux consulter de temps en temps la pendule pour vérifier le temps écoulé ; je me dis que si elle continue à parler aussi abondamment avec ces dames, elle va oublier que je suis au centre d’une possible tragédie.

Arrive le moment où elle va me libérer de cet arsenal écrasant : une autre épreuve commence. Me revoici, toujours parée de bigoudis, péniblement appuyée à cet entonnoir qui me scie la nuque, alors que la permanente est fixée avec un produit dont le temps de pose me semble interminable.

A l’époque, pas question de « brushing ». La mise en plis se prolonge par une station sous le casque, d’autant plus lente que la coiffeuse s’occupe de plusieurs clientes à la fois.

Enfin, trois heures plus tard, je découvre dans le miroir une fillette à la tête gonflée de frisottis très serrés. Jamais je n’arriverai à passer le peigne à travers ces crêtes frisées !

– Tu es contente ? me dit ma grand-mère.

En définitive, j’ai la nette impression d’avoir risqué énormément pour un piètre résultat. Tous les six mois la permanente sera renouvelée.

Rarement le dicton « Il faut souffrir pour être belle » fut plus approprié.

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