En 1943, j’étais en 4ième primaire. Il était temps qu’on m’inscrive au catéchisme chez les bonnes sœurs dans un couvent du quartier. Je ne me sentais pas très concernée. J’étudiais mes leçons approximativement. J’étais souvent en retenue et maman venait me rechercher pour aller chez l’orthodontiste. Après deux ans de catéchisme, les sœurs déclarèrent à mes parents que je n’étais pas prête et que je devais faire une année de préparation supplémentaire. Mon père clama : ce sera cette année ou jamais. Je fus admise à la retraite de trois jours qui précédaient la communion et là je m’appliquai de toutes mes forces et je fus admise.

On se mit en quête de trouver du tissu pour que maman puisse me confectionner une robe En cherchant, nous tombâmes sur une robe d’occasion exposée dans la vitrine d’un teinturier. On entra dans le magasin, elle m’allait à merveille, et nous nous décidâmes immédiatement à l’acheter. Papa était content, maman aussi parce que le problème était résolu : j’avais une belle robe. Il n’en fut pas de même de ma grand mère qui poussa des cris horrifiés, parce que mes parents avaient si peu de considération pour moi qu’ils m’affublaient d’une robe d’occasion et que, déjà par le passé, ils m’avaient inscrite dans une école qui ne correspondait pas à mon rang… Tout cela sous mes yeux. Je n’ai pas osé interrompre cette discussion car j’avais horreur des affrontements, mais si j’avais osé, je lui aurais crié qu’elle était injuste, que mes parents m’aimaient, et qu’elle, je ne l’aimais plus du tout.

Ma communion eut lieu Le matin. Je reçu la communion pour la première fois. Les sœurs nous avaient bien expliqué comment prendre délicatement l’hostie sous la nappe du banc de communion, comment la laisser fondre dans la bouche sans la toucher avec les dents. J’avais peur d’être maladroite et de ne pas bien faire tout cela et de commettre un péché. On fit une procession dans l’église et j’étais fière de ma robe que je trouvais la plus belle. Ensuite nous retournâmes à la maison où maman avait cuisiné un bon petit repas. J’étais heureuse d’avoir eu tant de monde autour de moi : mes deux grand-mères (celle de Spa était revenue pour l’occasion), ma tante Marthe et mon oncle Robert, la cousine Madeleine qui habitait toujours au deuxième étage et dont le mari juif avait fui au Maroc. Nous apprîmes plus tard que le Maroc avait été un pays très accueillant pour les juifs, que le roi Mohammed V avait refusé à la France de lui renvoyer les réfugiés juifs qui avaient choisi ce pays comme terre d’accueil.

Maman avait dressé une grande table. Elle avait sorti la belle vaisselle en porcelaine de Limoge. Tout cela était neuf pour moi et j’étais très excitée et très heureuse. En entrée, des petits légumes étaient arrangés avec amour dans différents petits plats : des betteraves, des poireaux, des radis, des cornichons et des petits oignons au vinaigre, faits dans la maison, et quelques tranches de saucisson. Ensuite venait un poulet, et pour terminer une belle glace au chocolat. Un vrai régal. Nous écoutâmes encore « Radio Londres » et puis le Journal Parlé. On était le 10 mai et c’est ainsi que le jour de ma communion, nous apprîmes en famille la fin de la guerre. On s’embrassa très fort, on laissa sans retenue s’exprimer notre joie et notre bonheur. Mon oncle grimpa sur le table et il me fit aussi monter et nous avons dansé à deux.
Nous sortîmes dans la rue où les voisins aussi se congratulaient. Tout le monde était joyeux, il régnait une atmosphère frénétique. A cinq heures nous allâmes aux vêpres. Le prêtre n’eut des mots que pour ce grand bonheur retrouvé le jour de notre communion. Je fus marquée par cette coïncidence et je devins une catholique fervente.

Le lendemain était le second jour de la communion. Nous retournâmes à l’église et nous avons encore reçu la communion. Nous sortîmes pour goûter à ce bonheur national. Je vis un rassemblement quelques maisons plus bas dans notre rue. Une femme était installée sur une chaise placée sur une table devant le porche. Elle avait la tête baissée et des gens autour d’elle coupaient ses cheveux. Ce spectacle m’impressionna et je demandai à mes parents pourquoi les gens s’acharnaient sur cette femme. « Elle a collaboré et eut un ami allemand. » Je dois avouer que cette réponse me laissa perplexe, mais je n’insistai pas. En ville les gens criaient, agitaient des banderoles, se promenaient aux bras des militaires.

Comme je devenais grande, je commençais à pouvoir sortir toute seule dans le quartier. Il y avait beaucoup d’enfants de mon âge. Vu l’excitation de nos parents nous étions aussi relativement excités. Une Jeep passa conduite par un GI et remplie d’enfants qui chantaient, qui criaient. Le GI leur demanda de descendre. Nous pûmes à notre tour grimper dans la jeep, nous étions au moins une douzaine. Il fit un petit tour dans le quartier, puis nous donna aussi l’ordre de descendre après nous avoir donné des cocas et des paquets de chicken-soup. Je revins rayonnante avec mon petit trésor. Maman me montra qu’elle était heureuse de me voir comblée, mais elle me demanda d’être prudente et de ne pas suivre des militaires, surtout en auto. Elle prépara la chicken-soup que nous trouvâmes délicieuse. On ne connaissait pas cela en Europe. Par contre, je n’aimais pas le coca qui avait un goût bizarre.

3 commentaires Répondre

  • Jean N. Répondre

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    J’ai trouvé bien touchant ce récit d’une première communion marquée par la joie de porter une belle robe. J’ai gardé de cette cérémonie un souvenir différent. Le jour de ma première communion a été celui de ma première cigarette.

    Pour préparer la solennelle cérémonie, il fallait nécessairement suivre avant la classe, pendant un an dans l’église glaciale, le cours de catéchisme, donc se lever dès potron-minet. Mon père qui ne fréquentait jamais l’église a obtenu un compromis du curé : d’accord pour la communion, à condition de ne faire que trois mois de catéchisme matinal. Papa estimait que je recevais suffisamment d’enseignement religieux pendant la journée en l’école paroissiale choisie pour sa proximité. On était « après la guerre », celle de 14-18, huit ans avant la suivante.

    Un examen terminait les séances de catéchisme ; comme je répugnais à étudier ce petit livre consistant en une série de questions avec les réponses dictées, j’ai été classé avant-dernier et partant, installé dans le chœur à la place des cancres, embarrassé de mon cierge, parmi les costumes marins des jeunes mâles à droite et les robes blanches de petites mariées, à gauche.

    La cérémonie dans la Maison de Dieu s’est complétée par des agapes en la nôtre. Souvent, à cette occasion, le culte de Bacchus est célébré avec plus d’éclat et d’ardeur que celui de Jésus. Ce n’était pas le cas chez nous, c’est avec modération qu’on dégustait les vins de la Maison Solms et Simon, l’entreprise de mon grand-père maternel et les plats concoctés par son cuisinier, Monsieur Henri. Le menu que j’ai retrouvé bien des années plus tard m’a rappelé les mets du jour. Mon oncle et ma tante étaient de la fête. Mais pas les cousines ; pas d’autres enfants, sauf ma petite sœur. Les plaisirs conviviaux étaient réservés aux adultes. J’avais été suffisamment à l’honneur pendant la partie proprement liturgique de la journée. Ce n’est pas parce que j’étais le héros du jour que la tenue à table, au cours de cet interminable menu, devait se relâcher. Surtout en présence d’hôtes rares. Ces agapes étaient en plus grand, en plus solennel, aussi ennuyeuses, aussi grosses de conflit que les pénibles repas tradi¬tionnels du dimanche midi chez mes grands-parents maternels. Les sessions à table se prolongeaient. Les enfants, voués au silence, s’ennuyaient et devenaient grincheux. Père et grand-père discutaient sans animosité, mais étaient rarement d’accord, l’un raisonnant en fonctionnaire mal payé mais à l’avenir assuré, l’autre en commerçant aisé mais soumis aux aléas du marché.

    Lors du « grand jour », une seule éclaircie se présenta vers quinze heures, quand je suis allé, seul, au service religieux obligatoire de l’après-midi et ai perdu un temps maximum sur le chemin de retour après avoir fumé la cigarette que j’avais subtilisée dans le paquet de Turmac de mon père. J’ai accompli ce forfait derrière l’église, près de la fausse grotte de l’Immaculée Conception. J’avais été gratifié des traditionnels cadeaux : ma première montre, un chronomètre Cyma ; un luxueux missel relié en pleine peau et... un étui à cigarettes en argent ! Pour un gamin de dix ans ! C’était une invitation à me montrer viril en fumant comme les adultes. Ainsi, dès l’après-midi de ce jour solennel, le nouveau communiant n’était déjà plus en état de grâce.

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    On peut comprendre la joie de Jacqueline : la libération le jour de sa communion ! La fête après les privations. On peut imaginer les relents de la chicken soup, après des années de vache maigre.
    Bravo pour le texte, plein d’émotion.
    jb

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    Je trouve très intéressante la lecture de ce texte..... étant née six ns plus tard, je n’ai bien sûr pas connu ce grand jour de la Libération , à part ce qu’on en a dit dans les films ou les livres.... mis lire cette histoire écrite par une jeune fille qui l’a VRAIMENT vécue, c’est tellement plus vivant, spontné et éclairnt !
    je la vois cette petite Jacqueline, dans sa belle robe immaculée pour "faire sa communion", je la sens vibrer de peur quand elle reçoit l’hostie et qu’elle subit les menaces des religieuses ("si vous touchez l’hostie avec vos dents, çà va saigner !" quelles horreurs on nous a servies, quel "terrorisme religieux", déjà !) je bats des mains quand elle monte sur la table familiale avec son oncle pour danser sa joie et, quand la famille goûte la bonne chicken soup venue d’Amérique, je sens le parfum chaleureux de ce breuvage qui réconforte les coeurs, après la terrible guerre. Martine L.

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