Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble
Et ce qui devait arriver, arriva. Cette circulation incessante de gens sur notre toit, agitant leur mouchoir et s’interpellant sans contrôle, mit en éveil les geôliers. Alertée par leurs soins, la Gestapo réagit aussitôt.
Ce jour-là, ce fut un officier de la Feldgendarmerie qui bouscula ma mère lorsqu’elle ouvrit la porte. Sans hésiter, comme s’il était un familier de notre maison, il gagna au galop le toit plat de notre annexe. Guidé à distance par un geôlier planté derrière la fenêtre blafarde d’une cellule, il chercha, semble-t-il, à localiser l’origine de toute cette agitation, de ces cris et de ces appels qui dérangeaient "l’Ordre Nouveau". Durant ce temps, ma mère qui n’avait pas froid aux yeux, s’agitait dans la cour arrière, remuant seaux et casseroles et nous interpellant d’une voix criarde afin de détourner l’attention du garde chiourme qui ne savait plus où donner de l’oreille, gesticulait, interrogeait à distance ses comparses qui rôdaient dans le chemin de ronde. Il tira même une balle en l’air pour en suivre l’écho. Il semble qu’il n’en résulta rien de bien précis. Pour notre chance, nous n’étions pas les seuls, dans la rue, à ouvrir notre porte.
On le vit trépigner tout un temps sur le toit plat, comme un pigeon qui ne parvient pas à se décider à réintégrer son pigeonnier. C’est un bourreau rageur et dépité qui redescendit au rez-de-chaussée, frustré de n’avoir pas trouvé la tête qu’il espérait trancher.
Nos visiteurs étaient à ce moment-là en nombre dans la salle à manger, en train de se restaurer, de laper la bonne tasse de chicorée que leur offrait gracieusement l’hôtel de pitié. L’officier de la Gestapo les prit pour des membres de la famille et ne songea pas à leur demander leurs papiers.
– Vous gollaborez tous avec les derroristes , n’en hurla- t-il pas moins, bien décidé à nous impressionner. Cela doit cesser ou che vous mets en brison avec eux, dout de suite. Vous avez gombris …"
Sur ce, il claqua des bottes et, suivi de sa garde prétorienne, regagna la rue pour continuer son inspection des maisons voisines.
