Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

Sur le ton de l’ange Gabriel qui annonce à Marie la bonne nouvelle, ma mère raconta à mon père la visite de Mme Elise. Elle dit : "Quand elle est entrée ici, elle sanglotait et quand elle nous a quittés, elle avait retrouvé son sourire."
– Tu as bien fait Félicie dit, sans hésiter, mon père qui n’avait fait qu’une bouchée de la mince portion de gâteau qui restait et, se tournant vers nous, il ajouta : "pour la défendre la liberté, j’ai perdu un poumon et un tympan, moi, à la guerre. Et maintenant ces Boches voudraient nous en priver !"
Un petit air connu chanta dans ma poitrine. C’était une rengaine qui répétait sans fin : "Le- e Roi, la Loi, la Liberté, Le- e Roi, la Loi, la Liberté"…
*
Si madame Elise partit sans laisser d’adresse ; elle sema la nôtre à tous vents.
Chaque jour, la prison de Namur accueillait une nouvelle fournée "de bandits et de voleurs " qui n’étaient autres que des réfractaires au travail obligatoire ou des combattants de l’ombre. Chaque jour, de nouvelles figures angoissées et défaites des familles sonnaient à notre porte. Ma mère ne pouvait refuser. Il lui suffisait d’entendre les cris de douleur et de soulagement : "Maman !- Mon fils ! " pour qu’elle se prête à toutes les demandes et reste aveugle à tous les dangers.
Ce n’était pas encore le pèlerinage à Lourdes mais ça y ressemblait en raison des miracles qui avaient lieu dans notre maison. Ne voyait-on pas les gens y entrer le visage ravagé par le désarroi et l’angoisse, et en ressortir les mains jointes, transfigurés. Ce n’était pourtant pas de l’eau bénite qu’on leur offrait mais une tasse bien chaude de cette chicorée qui a le pouvoir de détendre et de soulager. "Qui a bu boira chicorée Pacha".
Encouragée par mon père, ma mère jouait, en grande dame, l’hôtesse d’accueil de notre nouvel hôtel. Elle recevait les clients, les installait au salon, les invitant à sortir leurs tartines et à boire une tasse de chicorée, en attendant leur tour. L’un après l’autre, elle les conduisait ensuite sur le toit plat de l’annexe, leur laissant le temps de faire signe au grand mur noir.
Parfois le silence répondait aux appels, parfois le grand mur noir lançait un cri de joie et de reconnaissance, parfois circulaient de part et d’autres des messages sibyllins : "Le seau est tombé dans le puits" ou "Tous les pigeons ont été lâchés" et parfois une main ou l’esquisse d’un visage apparaissaient dans le grand mur percé de fenêtres aux vitres blêmes.

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