Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

L’histoire débute le 2 juillet 1942. Ce jour-là, ma sœur aînée fêtait ses 15 ans. Nous étions, pour la circonstance, tous rassemblés, mes deux sœurs, mon frère cadet, ma mère et moi, autour d’un gâteau de froment et de son pour assister au spectacle que ma grande sœur allait nous donner en éteignant, d’un seul souffle, les 15 bougies. C’était une tradition de famille que le plus souvent on entourait de pompes et de falbalas, appelant à la rescousse tantes et oncles, cousins et cousines. Vu le rationnement alimentaire, nous étions, cette fois, les seuls invités à cette "Performance".
Que d’ingéniosité maman avait dû déployer pour rassembler les ingrédients nécessaires à la confection d’un gâteau brun, dit au chocolat. Farine de son, margarine de colza, cassonade de betterave étaient les ingrédients de base. Pour le décorer, elle avait gratté les fonds de tiroir et récupéré toutes sortes de babioles hétéroclites. Elle avait, par exemple, planté sur le gâteau des petits drapeaux collés sur des allumettes afin de lui donner une allure de fête nationale.
Les restrictions et le repliement sur soi avaient instauré un nouveau mode de vie. Une fois les timbres de ravitaillement écoulés, il n’y avait d’autres ressources que d’attendre la distribution des suivants ou de recourir au système "D".
C’était le temps de la débrouille. Depuis le début de la guerre, chaque année, dès que la moisson était annoncée, nous gagnions ensemble les champs de blé sur notre colline magique, afin de glaner dans le dos des moissonneuses les épis qui échappaient de leurs dents.
Et oui ce gâteau, dédié à ma sœur, était aussi un peu le nôtre.
Comme si elle se préparait à une plongée profonde en apnée, ma sœur aînée inspira donc tout l’air qu’elle était capable d’emmagasiner dans son orgueilleuse poitrine d’adolescente. Or, à l’instant même où elle relâchait son souffle, coupant d’un seul coup leur langue aux bougies, la sonnerie de la porte d’entrée retentit. Cette intrusion intempestive eut pour effet de nous figer dans un silence inquiet telles des statues de sel rassemblées autour d’un gâteau en carton pâte.
Nous n’attendions personne. C’était, comme on dit, une réunion discrète, sans fleurs, ni couronnes.

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