Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « Entre rire et pleurer »

Ils étaient amoureux l’un de l’autre. Mais elle souffrait d’asthme. Elle ne voulait pas être une charge pour lui. Ca lui est apparu sage. Ils ne se sont pas mariés. Il a épousé une autre femme. Ils ont continué à se voir de loin en loin.

Elle voulait avoir un enfant de lui.

C’est ainsi que je suis né. Que j’ai vécu mon enfance et ma jeunesse avec ma mère et ma grand-mère. Que j’ai très peu connu mon père. Il passait parfois à la maison mais pas souvent car ma grand-mère n’appréciait pas ses visites. Les premiers temps, j’ignorais d’ailleurs que c’était mon père. On m’avait dit qu’il était mort. Maman avait acheté un très beau phono. Lors de ses rares visites, elle mettait un disque et remontait la manivelle et ils dansaient.

Mais le plus souvent, ils se donnaient rendez-vous à l’extérieur. Leur lieu favori de rendez-vous, c’était, je m’en souviens, le « Canari », un petit café de la rue Traversière à Schaerbeek. Je revois l’arrivée de mon père au café. Il est vêtu d’une grosse pelisse jaune. Il est très expansif. Il parle à tout le monde en faisant de grands gestes. Il est sans doute déjà un peu éméché. Il me désigne en disant très fier : « C’est mon fils ». Maman est plutôt gênée. Il paie une tournée générale.

Il est généreux. A chaque fois que nous nous voyons, il me donne du chocolat. Les enfants appellent volontiers « papa » les hommes qu’ils connaissent. Même quand je ne savais pas qu’il était mon père, je l’appelais papa : « papa chocolat ».

Une amie de maman m’a appris sa mort. J’avais 13-14 ans. Il est mort de façon stupide : chez lui, en tombant dans l’escalier. Sans doute avait-il bu.

Quand je passais en tram devant le « Canari », je pensais à lui. Il n’y a pas longtemps, j’ai vu que le café avait changé de nom. Il s’appelle maintenant « L’Oasis ». Il est devenu le siège d’une équipe marocaine de football. Le cadre même dans lequel s’inscrivent nos souvenirs se modifie au fil des années. Le Schaerbeek d’avant guerre s’efface peu à peu sous les enseignes turques et arabes. En passant devant le quartier, j’ai toutefois remarqué que la mosaïque du pavement qui est devant la porte d’entrée a conservé la vieille inscription : « Brasserie du Canari ». Un Schaerbeek peut en cacher un autre.

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