Texte écrit dans le cadre de "Nous écrivons notre vie" 2023-25, par la plus jeune participante de notre groupe, Laetitia, qui a une quarantaine d’années.
Je crois que je suis née avec le paramètre RÉSISTANCE.
La lutte contre les injustices fait partie intégrante de moi-même. C’est un pilier, un fondement, qui me rend plus vulnérable et dépendante aux stress extérieurs.
En 1992, j’ai 10 ans, lutin exemplaire, parmi les plus à l’honneur, mes chefs m’imposent un combat qui n’est pas le mien en me confiant la responsabilité d’Emilie, atteinte de déficience intellectuelle et de handicap moteur. Ma promesse d’être « l’amie de tous » était mise à l’épreuve. Je n’eus pas de mal à appliquer ces promesses en m’engageant en faveur de l’inclusion.
J’ai 11 ans. Mon amoureux réel, mais platonique lance un violent coup de jambe jusqu’à la figure d’A** après l’école. A**, c’est le mouton noir de la classe. Le visage d’O** exprime de la fureur. A**, quant à elle, a les mains recroquevillées sur son corps frêle et un mouvement de stupeur. Spectatrice malgré moi, cette scène dont je ne comprends ni les déclencheurs ni les enjeux provoque chez moi un profond dégoût. Sur le champ, je décide que ce garçon ne serait plus mon amoureux. Même si c’est le plus gentil de tous les garçons de la classe.
J’ai 12 ans. Je me laisse embarquer par le groupe de jeunes de la paroisse à participer à un camp de chantier en France. Offrir des abris, bâtir de mes mains.
J’ai 13 ans. La visite de cette usine à poules pondeuses me pétrifie d’horreur. Dans ces couloirs de cages empilées, les poules oubliées, entassées et dégarnies par le stress, sont vues comme des machines. Les œufs défilent sur les tapis roulants. Mes compagnons de classe paraissent insensibles à l’atmosphère qui nous entoure. Pour moi, ça sent l’épouvante, et la mort. Où se trouve la dignité du vivant ?
J’ai 16 ans. Je sympathise avec une fille qui m’entraîne dans ses mauvaises influences. Nos mères se connaissent, apparemment j’ai quartier libre. J’apprends à fumer, découcher, me maquiller, sortir en boîte de nuit. Je refuse les jeux d’hypersexualisation que cette amie semble maîtriser. Je deviens son ange gardien. Je couvre ses arrières lorsqu’elle teste ses charmes et expérimente les hommes plus âgés. Je veille. Ma maturité et mon désintérêt les tiennent éloignés de moi.
Je décide d’afficher une réelle différence avec le monde pourri qui m’entoure. J’entre en résistance : je deviendrai straight edge*. Je veux incarner ma foi en mes valeurs. Je me rase la tête.
La violence à la maison et les humeurs de mon père deviennent intolérables. Plus mon monde s’agrandit, plus l’injustice se fait criante dans le rôle que ma famille s’évertue à m’assigner. Je me perce la langue en cachette. Je n’en peux plus de me taire et de tout accepter sans broncher.
J’ai 17 ans, je me renferme. C’est nul de ne pas être acceptée par mes pairs. Je me sens terriblement incomprise, trahie, rejetée, isolée, différente. Je lutte contre une obscurité intérieure.
J’ai 19 ans. Je m’engage dans le bénévolat. Pour maintes causes et dans de multiples milieux. Les luttes alternatives, l’antifascisme et la non-violence, les causes environnementales, sociopolitiques et syndicales ; e.a dans les festivals, les homes, les centres d’asile, de sans-abris, d’alphabétisation ; dans la rue, les forêts, les salles de cinéma et de spectacles et de concerts. Je crois fermement en l’éducation à Ia culture au sens large, celle qui ne couvre pas seulement les arts mais aussi tous les niveaux d’éducation.
Je remplis chaque étape de ma vie intensément.
* Straith edge : sous-culture émanant du mouvement hardcore et punk en provenance des États-Unis (80ies) et ayant fait son chemin largement en Suède dans les années 90 dont les valeurs prônent le respect du vivant (végétarisme ou véganisme), de ses partenaires amoureux (no sex ou relations basées sur les sentiments) et de soi-même (no drugs no alcoohol). L’appartenance se crée par le choix de se positionner en marge d’une société consumériste et capitaliste qui est en contradiction avec ces valeurs et de les incarner librement.