Texte écrit dans le cadre de "Nous écrivons notre vie" 2023-25
En 1962, on habitait à Rhode, j’avais 12 ans et j’avais terminé de merveilleuses années primaires dans l’école Hamaïde à Ixelles, une école avec une pédagogie proche de Decroly, où les enfants étaient écoutés et respectés.
Pourquoi mon père m’a-t-il mis ensuite au Collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud ? Était-ce pour la proximité, à 5 arrêts de train sur l’omnibus Bruxelles-Charleroi ? Ce fut, je crois, le pire choix qu’il eut pu faire alors. Je ne lui en veux pas, mais je l’ai très mal vécu. Je passais d’une école aconfessionnelle à une école catholique. Je passais d’une école de 120 élèves à un collège de 2000 étudiants. La quasi-dévotion des profs de primaires ne ressemblait en rien au style de ces profs-ci. Parfois idéalistes au début de leur carrière, j’en ai vu devenir très vite ‘mâtés’ par le rouleau compresseur du système. C’était aussi le passage d’un enseignement mixte, à des classes avec rien que des garçons. Et puis ici, on comptait en points, ici, on poussait à la compétition. Enfin j’ai toujours détesté les sports de groupes. Je n’ai jamais acquis cet ‘esprit d’équipe’ et la seule fois où j’ai fait un goal, dont j’étais très fier, ce fut dans le mien. On m’a vite écarté du sport. Dieu merci ! On m’a cependant fait doubler deux fois. Devenant le ‘vieux doubleur’ au fond de la classe, je me sentais encore plus humilié.
Des photos de classe montraient mon visage au travers de 5 classes. On peut très bien y constater la transformation d’un mignon petit garçon en un ado mal dans sa peau, torturé. À 16 ou 17 ans donc j’ai simplement dit stop. J’ai quitté ce lieu où je ne m’épanouissais pas du tout. Orienté en toute logique vers une école technique par mes capacités acquises grâce à mon intérêt, j’ai finalement terminé mes secondaires avec un beau diplôme de technicien en électronique A2 qui ne m’a jamais servi. Écœuré des études et manquant des moyens pour aborder l’université où pourtant j’aurais pu aller vers une formation dans mes cordes, je me suis mis à chercher du boulot.
Un moment important où le petit élève discret et complexé s’est affirmé fut quand, à un prof qui me reprochait de regarder par la fenêtre pendant la prière, je me suis levé et j’ai déclaré que mes convictions religieuses ne regardaient que moi.
Ado, je lisais beaucoup, des histoires fantastiques, de la science-fiction, des James Bond, de la philo. N’ayant pas eu de TV avant mes 17 ans, j’écoutais beaucoup la radio. L’émission ‘Salut les copains’ me mettait en contact avec les jeunes de mon âge. J’adorais Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Bob Dylan, Joan Baez et la plupart des chanteurs d’alors, mais j’écoutais aussi de la musique baroque, de la musique de l’Inde, du Japon. J’ai perçu que les événements de mai 1968 marquaient un grand changement dans la société. L’événement qui m’a le plus marqué, en plus de l’assassinat de Kennedy, fut sans aucun doute les premiers pas d’Armstrong sur la lune.
Je rêvais alors de fonder ou de m’insérer dans une petite communauté autarcique où nous produirions la plupart des produits dont nous aurions besoin. Nous puiserions l’eau d’un puits, produirions notre électricité, nous aurions une ou deux chèvres, des poules et un potager qui suffiraient à nos besoins. Communauté modèle, nous aurions quelques chambres pour accueillir des visiteurs intéressés par notre modèle. Le temps libre serait consacré à l’artisanat, ou à toute expression artistique.
Habile de mes mains, je me rendais utile en effectuant des dépannages divers, mais surtout des dépannages électroniques. À 17 ans on m’a prêté une mobylette, et, pour un gars qui sortait peu de chez lui, j’ai effectué ma première grande aventure solitaire. Un long voyage passant par Neuchâtel, où des amis de mes parents m’ont accueilli puis par Grasse dans le Midi de la France, où j’ai débarqué chez des cousins.
Vers 18 ans, j’ai fini par me faire quelques amis. Ils jouaient de la guitare, chantaient, aimaient la nature. On sortait parfois au cinéma ou pour écouter un concert.