Texte écrit dans le cadre de "Nous écrivons notre vie" 2023-25

Je suis devenue biologiquement une femme à l’âge de 11 ans et 3 mois. Femme dans un corps de fillette. Je ne savais pas ce que cela voulait dire, cependant j’ai vite compris tous les aspects négatifs que cela comportait. Cela fut une expérience traumatisante. Mais de cela, je ne veux pas parler.

Je préfère vous raconter un épisode heureux de ma vie de femme. Et je crois que ce sont pratiquement les seuls moments où j’ai apprécié mon statut de femme. Je fus une femme enceinte heureuse et comblée à deux reprises. Les trois premiers mois de ma grossesse, je détenais un secret que je n’ai voulu partager avec personne. Soit par crainte de pouvoir faire une fausse couche, soit pour le plaisir de savoir quelque chose que personne ne pouvait encore soupçonner. J’ai su très rapidement que mon corps accueillait un petit être qui allait grandir, grandir… J’ai suivi l’évolution du fœtus avec enthousiasme, curiosité et émerveillement. Jamais je ne m’étais sentie aussi bien dans mon corps. J’étais en harmonie avec moi-même et fière du prodige qui se produisait dans mon ventre. C’était incroyable ! D’autant plus que je n’avais jamais ressenti le besoin d’enfants. Je n’en aurais certainement pas eu si mon compagnon n’en avait pas exprimé le désir.

Les six mois qui suivirent s’envolèrent comme par enchantement. Je me sentais bien. La grossesse progressait normalement. J’étais le centre de tous les intérêts et de toutes les attentions au fur et à mesure que les mois passaient. J’étais aux anges. J’aurais voulu garder mon bébé encore longtemps en moi. D’ailleurs mes enfants sont tous les deux nés dix jours après la date prévue par le gynécologue. Après cet état de grâce, ce fut la dégringolade en enfer. L’accouchement s’est très bien déroulé dans les deux cas. Les bébés étaient en bonne santé et il ne leur manquait rien.

A la naissance de ma fille, tous les regards se sont tournés vers elle. Je n’étais pas jalouse, pas du tout, mais je souffrais d’être devenue invisible. Je devais fonctionner en tant que maman, et basta. Pas vraiment de reconnaissance pour l’exploit que je venais d’accomplir. J’étais frustrée. Le bébé ne m’appartenait plus, je n’en avais plus la garde exclusive. Je me sentais esclave de ce petit être exigeant et goulu qui m’imposait un rythme de vie qui ne me convenait pas. J’échafaudais même des plans de fuite auxquels je n’ai bien heureusement pas donné suite. C’est seulement quatre mois après sa naissance que je suis tombée amoureuse de ma fille. Le coup de foudre le jour où elle a prononcé ses premières syllabes : ma, ma, ma.

Dans les années 80, à la naissance de ma fille, j’habitais en Allemagne. J’évoluais dans le milieu universitaire, féministe et de gauche. Se marier et faire des enfants ne trouvait l’approbation de personne à cette époque-là, dans le milieu intellectuel. J’avais trahi et je suppose que pour cette raison, je n’ai pas obtenu le poste que je convoitais. Je côtoyais féministes engagées et fervents gauchistes quotidiennement, mais je ne me sentais pas appartenir à leur caste. Je trouvais ces gens trop extrémistes et sectaires. Généreux, oui. Seulement en théorie. Il ne fallait pas toucher à leurs privilèges, en tant que professeurs universitaires.

Dix ans plus tard, la naissance de mon fils n’a suscité aucun tollé, mais aucun enthousiasme non plus parmi mes relations. Pour moi, la situation avait bien changé. J’étais mieux préparée à la maternité et j’avais une assistante fidèle et efficace : ma fille.

Le fait d’être femme ne m’a apporté que des déconvenues dans le domaine professionnel, mais une immense satisfaction et fierté d’avoir mis au monde mes enfants.

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