Ce souvenir date de juillet 1948, lorsque les plages ont été rouvertes au public après la guerre. J’avais trois ans.
Papa et maman ont dit : "on va aller en vacances à la mer, et tu verras comme c’est beau. Et en plus, c’est grand, très grand, la mer !". C’est loin, la mer, très loin : mais on y va à vélo. Et là, on va dormir dans une chambre.
Je suis installée dans un fauteuil en osier attaché au porte-paquets du vélo de Papa. Je ne vois que le grand dos de Papa et Maman qui roule à côté de nous. Je m’ennuie et je finis par m’endormir. On me réveille pour me montrer un moulin à vent avec de grandes ailes qui tournent. Puis je me rendors.
Une nuit passée à Tournai chez Cousine Yvonne, et on repart. Que c’est long !
Enfin, il se passe quelque chose : le passage à niveau est fermé. Maman se fait mal en mettant pied à terre, elle ne peut plus pédaler. Là, je commence à m’inquiéter : Maman monte dans la voiture d’un inconnu ! Ce qu’on m’a toujours strictement interdit de faire ! ! ! Papa reprend la route, en tenant le vélo de maman de la main gauche. Un homme s’approche, je l’entends discuter avec Papa mais je ne comprends pas du tout ce qu’ils disent. Puis Papa donne le vélo de Maman à l’homme et je suis surprise de l’entendre dire : "dans le cul". Papa dit parfois de gros mots, à la maison, mais pas ça, et surtout pas à un monsieur qu’on ne connait pas. Que se passe-t-il ? C’est ça la mer et les vacances ?
Heureusement, nous arrivons rapidement à destination : le vélo de maman est dans la cour d’une grande maison et Maman est installée dans une chambre.
Le lendemain, je vois enfin la mer. Quand je pense, Papa et Maman avaient dit : "tu verras, c’est grand la mer, très grand ! ». Pour moi, grand c’est haut, comme un arbre, comme ma maison, comme le moulin qu’on a vu hier. Et là, je me trouve devant de l’eau toute plate. Non ! La mer, c’est PETIT !
P.S. Il est évident que Papa n’a pas dit de gros mot, il a dit : « Dank uw ! » pour remercier le monsieur.
