Je suis une enfant de la crise. Née en 1970, le mot « crise » je l’ai toujours entendu. Pourtant je garde le souvenir que lorsque j’étais petite, on se penchait vers moi et on me demandait : « Et toi, plus tard, qu’est-ce que tu feras ? »

A la fin de mes études universitaires, mon diplôme en poche, je suis allée m’inscrire au chômage et j’ai entamé des études en secrétariat de direction. C’était la crise. Tous les diplômés en sciences humaines postulaient grosso modo pour les mêmes emplois. J’avais l’impression qu’on m’avait menti : on m’avait fait croire que je pourrais tout faire, devenir ce que je voudrais, et la vérité c’est qu’il n’y avait pas d’emploi pour tout le monde.

Je suis restée deux ans au chômage. J’envoyais des lettres de motivation de ci de là, postulant dans ma branche. Mon curriculum vitae ne contenait pas grand chose de plus que mes études, je n’avais aucune expérience à faire valoir. Dans le meilleur des cas, je recevais une réponse négative. Dans la plupart des cas, aucune réponse. J’avais le diplôme requis, mais pas l’expérience. Et plus le temps passait, plus je perdais confiance en moi. Je sortais de moins en moins de peur qu’on me demande : « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? ».

Cette expérience marquante a très probablement influencé mon rapport au travail. Je me sentais rejetée par le monde du travail qui ne me voulait pas et j’ai décidé que jamais je ne laisserais le travail me définir. Non, je ne serais pas ce que je ferais.

C’est une formation auprès de la Ligue d’Enseignement et d’Education Permanente qui m’a ouvert les yeux et fait connaître le secteur non marchand et d’emblée ce fut une évidence : c’était dans ce secteur que je travaillerais. J’y suis entrée par la petite porte (avec mon diplôme de secrétaire) et six mois plus tard, j’ai décroché un emploi comme responsable de communication (universitaire).

Je suis restée 1 an ½ dans ce premier emploi mal payé. Très vite la question de la reconnaissance devint centrale. Je quittai cet emploi temps plein pour un travail à mi-temps dans lequel je gagnais le même salaire.
Durant les années qui ont suivi, j’ai testé tous les temps de travail : mi-temps, ¾ temps, 4/5 temps, plein temps et inversement. Au gré de mes besoins, de ma vie privée, de ma vie familiale, j’augmentais ou diminuais mon temps de travail. J’avais la chance d’avoir un dialogue franc et ouvert avec ma patronne sur ces questions-là.

Je n’ai jamais eu peur de perdre mon travail et cela m’a donné une grande force dans le dialogue avec mon employeur. J’ai fait plusieurs fois des choix risqués. J’ai quitté plusieurs fois mon emploi. Toujours par choix. J’ai renoncé à plusieurs postes à temps plein. Au fur et à mesure, la question de l’équilibre entre mes choix, entre mes vies est devenue primordiale. Travailler, oui, mais pas au détriment d’autre chose.

Aujourd’hui encore, à 43 ans, ma position n’a pas changé. Elle s’est même renforcée : la période du plein emploi est bel et bien finie. S’il n’y a pas assez de travail pour tout le monde, il faut partager le gâteau et inventer d’autres modes de vie, d’autres modes de travail. Vive la décroissance ! Vive la transmission des savoirs ! Vive l’échange de services et de biens !

Si aujourd’hui, j’ai l’impression d’être heureuse dans mes choix et sans crainte par rapport à l’avenir malgré qu’il soit évident que ma pension ne représentera pas grand chose, je ne peux pas m’empêcher de me questionner sur l’avenir de mes enfants… et de me demander de quels outils et de quelles qualités ils auront besoin pour trouver une place dans le monde de demain.

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