Ce texte fait partie du feuilleton d’Yvette Lire l’ensemble

Je vous l’ai dit : 8m sur 8 m.
Au centre une colonne portante. Une charpente apparente. Au centre également, un gros poêle cylindrique, que l’on chargeait de charbon ou de briquettes. Le mobilier : les petits et les moyens avaient des pupitres offerts par la commune de Koekelberg, les grands s’installaient autour de tables fournies par la F.N.S.S. ( Fédération Nationale de Secours aux Sinistrés).
Chaque grand avait dû apporter sa chaise.
Au mur : 2 tableaux, un matériel pédagogique de fortune.
Le chemin de l’histoire (ligne du temps) sur papier d’emballage, l’alphabet calligraphié, les cartes de géographie électriques, le rappel des pièges de la table de multiplication, les formes géométriques accompagnées de leurs formules……
Dans le fond de la classe : une mini-bibliothèque qui contenait quelques livres lus et relus : Kazan, Sans famille, L’île au trésor….

Cette salle de classe fut utilisée pour bien d’autres choses !
Le samedi, aidé de ses plus grands élèves, Papa nettoyait la classe et le vestiaire. Les bancs et les tables étaient empilés dans un coin. Il versait un grand seau d’eau et à l’aide d’un racloir, il amenait cette eau chargée de toutes les salissures de la semaine vers un trou percé dans le plancher.

Au crépuscule, arrivaient Céline et Marie Toussaint afin de préparer un rite autrement important : la messe du dimanche matin. Ma sœur aînée se souvient qu’on improvisait un autel à l’aide de deux tables mises bout à bout et surélevées par des caisses à munitions. Une nappe était posée sur les tables. Deux douilles d’obus bien astiquées ornaient l’autel.
Un abbé venait de Bastogne pour la célébration. Les ornements liturgiques et autres objets sacrés ne restaient pas à l’école. Marie et Céline les reprenaient chez elles après la messe.
Comme sacristines elles avaient le droit de les toucher. Pour nous, c’était interdit ! Mais plus quelque chose est défendu, plus il est tentant, c’est bien connu. Je me rappelle qu’un samedi soir, puisque tout avait été religieusement installé par Céline et Marie, je suis allée toucher du bout des doigts un de ces objets sacrés.

Après la messe, surtout en hiver puisque l’on avait chauffé le local, celui-ci se transformait assez vite en salle de jeux. Ce dont je me souviens le plus, ce sont les courses à trottinette ou à vélo autour du pilier central. Très vite après la guerre, Papa avait mis ses talents de bricoleur au service de ses enfants. Nous avons eu des trottinettes, des traîneaux pour les jours de neige, des échasses, une balançoire, un tourniquet ou plutôt une sorte de mini-carrousel à deux sièges qui pivotait autour d’un axe. Il n’a jamais très bien fonctionné. Je me souviens aussi des « ratatas », crécelles en bon français, qui servaient le samedi de Pâques. Puisque les cloches, selon la légende, n’avaient plus le droit de carillonner ni les clochettes de tinter, tous les gamins du village avaient un ratata pour le rite de la messe et pour la coutume ancestrale qui consiste à quémander des œufs dans toutes les maisons du village.
« Ratata, cwarèm è va ! Tindo vos oûs, cwarèm è foû ! »
Les filles étaient exclues de cette coutume. Occasion de frustration pour chacune d’entre nous.

Dans le vestiaire de l’école, Papa avait installé un banc de menuisier et tous les outils nécessaires au métier. Scier, raboter, poncer étaient pour lui bonnes façons de se détendre après une journée de classe.

Je n’ai pas tout dit à propos des dimanches dans notre école débarrassée de ses tables, chaises et bancs entassé dans un coin. Nous y avions de l’espace, de la chaleur et la liberté en plus.
Ma sœur aînée devenait metteur en scène et animatrice d’une mini troupe de théâtre.

On se déguisait souvent. Les vêtements envoyés des USA ou d’ailleurs, aux sinistrés ardennais, n’étaient pas souvent appropriés. Mais pour jouer et se déguiser c’était une mine d’or. Ils remplissaient un coffre en bois. Il est arrivé deux fois que ce jeu soit poussé plus loin et que ma sœur aînée mette sur pied un vrai spectacle à l’intention des adultes. De vieilles couvertures militaires accrochées aux solives délimitaient la scène et les coulisses. On avait convié d’autres enfants pour étoffer la troupe. Au programme il y avait la mise en scène de textes de lecture ou d’une chanson de l’époque : « Les trois cloches » par exemple se prêtait bien à cet exercice. Il y avait aussi l’une ou l’autre déclamation et quelques chansons. On demandait 5 frs de droit d’entrée.

Pour moi, qui avais peur de tout et même de mon ombre, les rôles étaient très secondaires.
Si je me souviens bien je faisais surtout de la figuration.
Mon frère ne participait pas du tout. Il faudra un jour que je lui demande pourquoi !
Ma petite sœur par contre était dans son jeu favori. Sa vocation pour le théâtre est peut-être née alors.

Ce grand local qu’était l’école a servi à autre chose encore : en hiver, Maman y mettait sa lessive à sécher. C’est à cause de cela qu’il y eut un jour un début d’incendie.

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1 commentaire Répondre

  • J K Répondre

    merci pour ce joli texte

    la classe de mon école je la vois, je la sens encore

    le tableau noir fixe, l’autre mobile ,en tourniquet, qui permettait de l’utiliser des deux côtés

    dès l’entrée l’odeur de créosote nous indiquait que tout était bien entretenu et l’estrade de bois ,décolorée par les nettoyages, le confirmait

    au centre le poêle à charbon circulaire protégé par une haute grille, prolongé par un long tuyau d’évacuation, diffusait une bonne chaleur
    Tous les matins le concierge le réapprovisionnait de grosses pelletées de charbon

    au cour de la journée les élèves changeaient de place,pour partager à tour de rôle la proximité du feu

    pendant la guerre, en prévision des bombardements nous faisions des exercices de sauvegarde.

    Soit se réfugier sous les escaliers, soit grimper sous les bancs

    inutile de souligner que nous adorions ces "jeux"

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