Ma mère me presse contre elle comme si elle voulait me faire rentrer dans ses entrailles pour me soustraire au bruit et à la fureur ambiants.
Elle me parle doucement à l’oreille, me dit de ne pas avoir peur que tout va bien se passer.
Le ronronnement soyeux et monotone d’une seconde vague d’avions se mêle au sifflement strident de bombes.
En face de moi, la lumière du jour s’insinue par le seul soupirail de la cave dont la hauteur est à peine suffisante pour laisser passer un chat rachitique.
Nous sommes six assis dans la cave humide sur un banc posé le long d’un mur : mes parents, mes deux sœurs, mon neveu Joseph et moi.
Mon beau-frère mobilisé doit se trouver sur un des fronts du pays.
Je croise le regard de mon neveu. Ses yeux reflètent un sentiment de peur que je ne lui connaissais pas. Il s’appuie contre sa mère, lui serre fortement une main.
Le sifflement s’accentue, vrille les tympans et se termine brutalement par le fracas d’effroyables explosions. Certaines, proches, font vibrer la maison jusque dans ses fondations.
Personne ne dit mot.
Les avions s’éloignent. L’espoir renaît. Les corps se détendent. Des soupirs profonds forment un trait d’union sonore entre la peur passée et le bonheur d’être encore en vie.
Je n’ai pas réellement eu peur. Le fallait-il ? En tout état de cause, j’ai été plus impressionné par le train fantôme lors de la dernière kermesse. Peut être vais-je comprendre ce qui s’est effectivement passé ?
Mon père se lève pour sortir mais des mains s’agrippent à lui et le retiennent dans cet abri illusoire, les avions pourraient revenir.
Une sirène monocorde sonne la fin de l’alerte.
A l’extérieur des voisins s’interpellent. Nous les rejoignons heureux de les revoir et de pouvoir quitter la cave sombre et humide.
De gros nuages noirs montent vers le ciel à l’est de la cité. C’est probablement la gare de chemin de fer qui a été la cible de l’aviation allemande.
Quelques hommes hardis vont faire l’état des lieux de la ville.
On apprend très vite que la gare a effectivement été bombardée et que tout le quartier dans lequel elle se situe a été rasé. Il doit y avoir de nombreuses victimes.
Une bombe a détruit une maison à moins de cent mètres de la nôtre.
Une autre est tombée dans le parc communal tuant une femme et sa fillette ainsi que le commissaire de police qui tentait de les sauver.
Je n’éprouve toujours aucune peur mais commence à réaliser que des forces maléfiques et concertées s’en sont prises à ma petite ville et à ma quiétude.
Ce ne sera que quelques semaines plus tard, à la vue des ruines béantes de cinquante-cinq maisons et de deux cent cinquante autres endommagées, que j’éprouverai rétrospectivement une grande peur.
Ceci se passait le 16 mai 1940, mais tout avait commencé avant.

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1 commentaire Répondre

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    Il est 16h30, j’ai lu les trois premiers épisodes de l’exode d’Adrien.
    Quelles émotions ! Ce récit m’a ramené dans mon village natal
    (José-Battice). En mai 1940, j’allais avoir quatre ans, quand , tout comme
    Adrien, je fus jetté sur les routes de l’exode au mileu de l’immense cohorte
    fuyant devant le déferlement imminent de la peste brune. j’attends les
    épisodes suivants.
    Antoine L.

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