Soudain au-dessus de nos têtes retentit le hurlement caractéristique d’une sirène de Stuka. Nous bondissons vers un bosquet qui longe la route Avec une synchronisation presque parfaite nous atterrissons sur l’humus sec du petit bois faisant naître un léger nuage de poussière végétale
Je relève lentement la tête en direction de la route et aperçois de profil, à l’arrière d’un camion militaire découvert, un soldat français, tirant de brèves rafales de son fusil-mitrailleur pointé vers le ciel.
Etonnamment l’avion allemand n’a pas tiré et prend rapidement de l’altitude.
Mon père me dit à voix basse, comme si le pilote pouvait nous entendre, qu’il s’agit peut être d’une manoeuvre pour échapper à un avion de chasse allié collé à ses volets de freinage arrières.
En effet, je perçois le ronflement différent de deux moteurs lancés au maximum de leur puissance.
Le crépitement de deux mitrailleuses distinctes emplit le ciel et est suivi d’une violente explosion. Une deuxième explosion moins importante succède à la première.
Je risque encore un bref regard devant moi. Le soldat français qui maintenant me tourne le dos a déposé son arme dont le canon fume encore et regarde fixement le ciel. J’aperçois la queue d’un avion qui tournoie dans un silence irréel en se rapprochant du sol.
Elle disparaît derrière les cimes de petits arbres.
Un svastika dont j’ignore la signification décorait l’arrière de l’épave. J’en saisis la raison d’être lorsque mon père, qui a également observé la scène, s’exclame cette fois-ci à voix haute et presque joyeuse : « C’est un allemand ! ».
Quelques soldats français s’enfoncent en courant dans le bosquet en direction de l’épave dont le dernier ballet m’a fasciné.
Le danger passé, un flot de réfugiés quitte précipitamment les bosquets. Chacun se hâte qui vers son vélo, qui vers sa voiture ou sa charrette qui vers tout autre moyen de transport.
Des chevaux, que le vacarme de la lutte a rendus fous, hennissent et tapent vigoureusement des fers sur le sol.
Le calme se rétablit peu à peu et la caravane pitoyable reprend avec lenteur la route exténuante de l’exode.
Mes jambes tremblent encore après la terrible peur que je viens d’éprouver. Le vacarme de ces moments affreux s’est lové dans mes oreilles et semble ne plus vouloir en sortir.
Moi qui ne connaissais des armes que le pet asthmatique des carabines à plombs des foires... Mon expérience des explosions se limitait, elle, aux détonations des pétards et à éclatement joyeux des feux d’artifice.
De retour au pays, je vais pouvoir en boucher un coin aux copains et principalement à celui dont le grand frère se gargarisait de connaître les mesures prophylactiques à observer en cas d’attaque au gaz.
Cette pensée m’amène à vérifier si le grand mouchoir à poix rouges est resté en place lors de ces derniers événements. Il n’a pas quitté ma poche.
Me voilà partiellement rassuré. Je ne le serai entièrement que lorsque j’aurai la certitude que ma vessie sera suffisamment fournie pour enclencher éventuellement la combinaison salvatrice dont je ne suis pas prêt d’oublier la formule.

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