Je me souviens très bien de la rentrée des classes en 1943 ! J’allais en deuxième année primaire.
Je portais des chaussures agrandies sur mesure, c’est à dire que pour me permettre de les porter encore sans y être à l’étroit, on en avait taillé le bout, permettant ainsi aux orteils de s’étaler confortablement. Cela ne me dérangeait nullement car j’avais au contraire le sentiment d’endosser un modèle inédit et peu banal. J’étais convaincue que mes camarades de classes admireraient cette création personnelle ainsi que ma jolie robe à fleur de l’année dernière, ornée cette fois d’un large volant rouge vif et de la ceinture rapportée dans le même tissus. Ainsi, bien qu’ayant grandi énormément, je pouvais afficher une coquetterie fraîche et originale.

Ce qui me rendait particulièrement fière c’était d’avoir hérité du cartable en cuir de mon frère aîné.
Ce cartable, comme je l’avais admiré, envié même !
Fermé par deux boucles, les coins en étaient un peu usés, une tache d’encre maculait le dos mais son cuir me parlait, vivait, avait une histoire. C’était une petite serviette porte document qui avait d’abord accompagné notre père au bureau. A la mobilisation générale en 1939, le père étant absent, la serviette devint cartable pour le garçonnet qui entrait à l’école primaire. Il avait traîné depuis dans tous les coins mais son cuir épais, même fatigué, semblait inusable. Cette année mon frère recevait un cartable plus grand, je pouvais enfin m’approprier l’objet de tant de convoitises.

Notre institutrice une demoiselle âgée, c’est du moins l’impression qu’elle me donnait, très douce et attentive aux moindres soucis que nous pouvions éprouver par ces temps difficiles, me fit asseoir à côté d’une nouvelle venue : « voici une nouvelle camarade, elle se nomme Jeannine, comme toi, aide là un peu ! »
Timide, très pâle, ma petite voisine ne parlait pas et semblait impressionnée par cette ambiance particulière de rentrée des classes.
Au bout de quelques minutes, voilà ma compagne de banc qui fait pipi dans sa culotte.
Pétrifiée, elle l’était mais moins que moi qui craignais par dessus tout que ses débordements ne tâchent ma jolie robe et mes chaussures découpées !

Je la rencontre parfois au hasard d’un passage dans le quartier et me revient alors en mémoire cet épisode perturbant de rentrée des classes. Perturbant pour elle et également pour moi qui redoutais le moment où elle irriguerait à nouveau le banc que nous partagions.

4 commentaires Répondre

  • Fernand Répondre

    Merci Jeannine pour ton récit. Très descriptif et plein de sentiments. Je voudrais que ce texte soit lu par toutes ces mamans qui croient qu’il faut chaque année remplacer cartable et autres objets. Et pour les enfants quelle leçon ! Je fréquente des élèves de 1ère et 2ième années dans le cadre du coup de pouce et constate le manque de respect qu’ont les jeunes actuellement pour leur matériel et vêtements. Puisse ton témoignage faire réfléchir !

    • Michèle, A&T rédac Répondre

      Oui Fernand, je trouve aussi qu’on achète beaucoup trop de nouvelles choses à la rentrée dont on n’a pas vraiment besoin mais ...
      Les magasins regorgent de fournitures diverses à prix divers. Les (jeunes) enfants voient tout cela, comparent ce qu’ils ont avec leurs copains et copines, pressent leurs parents pour acheter du neuf. Les parents doivent faire de la résistance ? Sans doute ! Mais tout cela n’est-ce pas non plus un exemple de notre fameuse "société de consommation" ... Acheter un matériel qui dure des années, n’est-ce pas "anti-consommation" ?
      De plus, ce monde de la consommation était nettement moins développé il y a 60 ans. Le pouvoir d’achat des ménages était aussi, je crois, nettement plus bas. Il était donc plus facile dans ce monde d’être "frugal". Qu’en penses-tu ?

      • Fernand Répondre

        Bien sûr Michèle tes arguments me paraissent évidents. Je crois aussi que nous ne devons pas nécessairement suivre la mode sans nous poser des questions. J’ai toujours l’impression que les acteurs financiers nous mènent par le bout du nez. Ils s’arrangent pour lancer des modes de vie qui incitent à la consommation. Ceux qui contestent le plus souvent le monde de la finance sont également les premiers à suivre comme des moutons. Pour ne pas se démarquer et paraître pauvres, ils se croient obligés d’acheter toujours le dernier cri du marché. Cela se vérifie dans tous les domaines : les vacances, la mode vestimentaire, les électro- ménagers, les différents types de diffusion sonore, la téléphonie, la voiture, la coiffures.... Bref, il faut toujours être à la page ! Finalement plus rien ne satisfait, il faut du neuf, autre chose, une autre compagne ou compagnon. Ainsi nos contemporains sont constamment insatisfaits, à la recherche d’un bonheur inaccessible voire utopique. Ils consomment, consomment, consomment. Ils font rire, rire, rire les manipulateurs économiques. Ils polluent, polluent, polluent. Ils détruisent, détruisent, détruisent notre belle planète.
        Excuse- moi Jeannine, ton beau récit décrivant si joliment la naïveté de l’enfant débouche sur un échange matérialiste. Je voulais ajouter mes réflexions à celles de Michèle.

        • Jacqueline Bouzin Répondre

          Et moi, qui lis avec intérêt vos commentaires, je viens ajouter mon grain de sel aux commentaires.

          Bien d’accord avec Fernand : nous gâtons trop nos enfants par des choses matérielles. Sans leur apprendre souvent qu’un concerto de Mozart met la joie au coeur dans un moment de cafard, qu’une promenade en forêt rend au regard toute sa capacité d’admiration...Je suis attristée lorsque mon petit-fils de 4 ans me lance, avant de m’avoir dit "Bonjour, Mamy !" "Tu as un cadeau pour moi ?"
          "Mais, oui, chéri, c’est moi ton cadeau car je t’aime beaucoup !"

          Pas très convaincu, le trésor...

          De toutes façons, les golden sixties sont terminées. Notre niveau de vie change car la nécessité de partage avec les moins nantis est pressante. Nous commençons déjà à réapprendre les joies simples de la convivialité.

          Bien amicalement et merci à Janine pour son texte si vivant. Jacqueline.

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