1938. Les congés payés sont enfin institués. Une vraie victoire !
Donc, c’est décidé : nous irons voir « LA MER ». Nous prendrons des vacances, mais nous ne sommes pas riches, elles n’excéderont pas une semaine…

Nous ferons le voyage en tram. Et quel voyage !
Mon père est percepteur de tram et nous bénéficions de la gratuité partielle pour les déplacements. Aujourd’hui, je réalise les sacrifices qu’il a fallu accepter pour s’octroyer ces huit jours.

Nous quittons Liège, le dépôt de Saint-Gilles, avec le tram vicinal. Nous voyageons en deuxième classe, les banquettes sont en bois, peu confortables. Au terminus de la ligne, nous en reprenons un autre et encore un autre… jusqu’à Heist et la mer…

Ces différents changements sont, pour moi, autant de petites excursions. Nous traversons les campagnes, les forêts. Les arrêts et les départs sont ponctués des coups de sifflet du percepteur. C’est lui qui contrôle les allées et venues, les mouvements des voyageurs. Il est interdit de se pencher aux fenêtres, ce qui n’empêche pas d’apercevoir les prairies, les troupeaux de vaches et, ce qui me ravit, des lapins qui traversent en bondissant sur les voies du tram.

Papa et moi sommes très joyeux. Quelle obstination il lui a fallu pour organiser tout cet itinéraire de ville en ville.
Nous visitons la Belgique, ça oui…

Papa est aux côtés des conducteurs. Et, bien sûr, moi aussi. Conduire un tram n’est pas une sinécure : un volant métallique, horizontal permet de changer les vitesses grâce à une manivelle poussée de plot en plot ; un clic sonore résonne à chaque modification de régime ; la manette du frein, à droite, est énorme. Certains copains de mon père me laissent toucher, tourner, manœuvrer ce grand volant : j’ai l’impression de conduire.

Papa m’explique les régions traversées. Je reviens parfois vers Maman et ma soeur et leur annonce fièrement que Papa parle « chinois » avec ses collègues. En réalité il parle le flamand qu’ il a appris au fil du temps.

Il nous faudra la journée entière pour faire ces deux cents kilomètres… Et nous ne sommes pas très frais lorsqu’enfin, nous arrivons au but.

Nous séjournons au village de Heist où un hôtel accueille le personnel des chemins de fer vicinaux. Seuls quelques privilégiés peuvent passer des vacances au littoral… et nous en sommes ! La liberté, le grand air, la mer nous appartiennent à nous aussi !
La mer du Nord souvent glaciale. Ses plages de sable immenses…
Irremplaçable…

Le retour, toujours en tram, est l’occasion pour Papa de m’apprendre que nous faisons partie du pays des houilleurs et des armuriers. Combien de fois ne l’ai-je pas entendu dire quand nous rentrions de ces vacances au littoral : « Regarde bien, n’oublie jamais que tu es liégeoise et que, dès que tu vois les terrils, tu es chez toi… »

Huit jours passent si vite… Quelques années passeront avant de nous offrir à nouveau ce bonheur.

Aujourd’hui j’aurais bien envie de recommencer ce voyage, de redécouvrir l’enchantement d’un paysage, d’un décor naturel, de cette grande joie toute simple où le bonheur était présent.

Mais peut-on encore, de Liège, rejoindre la mer en tram ?

2 commentaires Répondre

  • jean Répondre

    ça me rappel mes premières vacances à noirmoutier en colonie, j’étais si exité et en même temps j’avais tellement peur !

    Je suis née en 1988 contrairement à vous et la colonie c’était vraiment top ! Je me souviens du thème c’était Robenson crusoé ! On avait des indices toute la semaine, et on a vu Robenson tout à la fin ! Incroayble !

  • jbouzin@scarlet.be Répondre

    Merci, Alice, pour cette évocation si émouvante des premières vacances !
    Moi aussi, née en 1938, j’ai découvert la mer à Duinbergen en 1946. Maman avait loué pour les cinq enfants une minuscule maison " Le canari" dont je vois encore la porte verte. Devant les dunes de sables, des treillis de fer barbelé que nous avions l’interdiction de franchir : les Allemands avaient parsemé les plages, de mines qui souvent explosaient encore.Impossible de se baigner. Néanmoins, je garde au coeur l’émerveillement de ces vagues qui roulaient sur le sable avec un bruit sauvage...

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