Ce texte fait partie du feuilleton d’Yvette Lire l’ensemble

Cet Hiver 2013, particulièrement rigoureux et long, me fait penser aux hivers de mon enfance.

Dans notre baraquement, la vie se concentrait autour de trois endroits chauffés : la cuisine-salle à manger, une chambre à coucher et l’école dont je vous ai déjà parlé.

La cuisine avait une porte qui ouvrait directement vers le dehors, orientée à l’Est. Papa la calfeutrait au mieux à l’aide de papier journal. Au-dessus il y avait une imposte en verre armé qui avait été troué par une balle, de ce trou partaient des fêlures en étoile. Il était bouché par une grosse boulette de papier journal. Le poêle crapaud avançait loin vers le centre de la pièce.
Maman se levait toujours la première et y allumait le feu. Quand ce feu était bien lancé, le pot rougissait tellement qu’il a fini par péter. Feu qu’il fallait nourrir continuellement. C’est Papa qui était chargé de fendre les grosses bûches, préparer le petit bois ou les fagotins de ramilles, remplir la charbonnière.
C’est dans cette pièce que Maman cuisinait. Nous mangions là matin, midi et soir, tous les six autour de la table. Papa y lisait son journal. On y écoutait la radio. Maman y recevait ses amies en soirée.
Cette pièce était le cœur de la maison. Le samedi, c’est aussi là que l’on prenait son bain. Au début en tout cas. Dans une cuvelle à lessiver remplie d’eau chauffée à bonne température, les quatre enfants passaient dans la bassine. Maman nous lavait, Papa nous posait sur une chaise et nous essuyait. C’était le jour où l’on changeait de chemise et de culotte.
Plus tard, pour ménager nos pudeurs, Papa aidé du forgeron du village, nous a fabriqué une baignoire selon le modèle des abreuvoirs à vaches. On la posait à côté du lit dans la chambre des parents.

Cette pièce était également chauffée à l’aide d’un poêle appelé continu.
Alors, la soirée se passait dans cette chambre, pour nous les enfants. Les deux lits devenaient aires de jeux. Je me souviens très bien des soirées qui suivaient les St Nicolas. On étalait nos friandises sur les lits et le plaisir était de compter, d’échanger, de commenter, de suçoter, de remballer dans les beaux papiers d’argent. Ces soirées-là, pour moi, c’était comme le paradis. St Nicolas ne nous avait pas oubliés : un mécano pour mon frère, une poupée en celluloïd pour moi, la même pour ma petite sœur. On s’endormait bien au chaud, la tête remplie de rêves enchantés.
Cà, c’était quand on allumait ce feu continu. Sinon, cette foutue baraque était très mal isolée. Mon frère m’a rappelé que les pipis du soir, que nous faisions dans un vase de nuit glissé sous le lit, au matin, ils étaient gelés !
Au matin aussi, le bord du drap de lit mouillé par notre respiration, était raidi par le gel.
Un rituel des soirées d’hiver était la préparation des bouillottes fabriquées aussi par Papa.
Il avait récupéré des douilles d’obus en cuivre et avait soudé au-dessus un rond de métal muni d’un bouchon à visser. C’est Papa aussi qui se chargeait de les transporter dans nos lits une ou deux heures avant le coucher. Papa aussi, avait cousu des housses en tissu pour qu’elles ne brûlent pas.

En hiver sous nos robes, nous portions des sortes de pantalons de training qu’on appelait des grandes culottes. Pas encore d’anoraks à capuchon. Nous avions des bonnets du genre passe-montagne. Aux pieds, pour les jeux dans la neige, des bottes en caoutchouc.
La neige ! On l’accueillait chaque hiver avec des cris de joie : Maman, il a neigé !
Contrairement aux autres enfants du village, filles ou fils d’agriculteurs, et engagé aux travaux de la ferme, nous ne manquions pas de loisirs.

En récréation, les batailles de boules de neige étaient le jeu favori des garçons. Moi, ce que j’aimais le plus, c’était m’élancer en courant pour glisser sur la glace ou la neige tassée. Très très longues glissades que je finissais à croupetons. La cour était en pente. Un vrai bonheur. Pour les glissades à traîneaux, nous allions sur la route qui, au carrefour descendait vers l’Ouest. On l’appelait la rampe. Le garde champêtre nous a plus d’une fois envoyés jouer ailleurs. Aujourd’hui ce n’est plus possible, comme sont interdites dans les écoles, les batailles de boules.

Autre souvenir de neige.
Les bonshommes bien sûr, mais aussi une sorte d’iglou creusé dans un tas de neige gelée. On y entrait à quatre pattes et à l’intérieur, on ne pouvait que s’asseoir mais on en était très fier.
Dans la prairie derrière le baraquement, la toute première neige sans aucune trace de quoi que ce soit, inspirait notre créativité. Nous tracions d’énormes cercles et leurs rayons en piétinant la neige à petits pas. Des « crombs circles » à notre mesure.

De ces hivers ardennais, il me revient des tas de souvenirs.
Encore un : Il avait beaucoup plu. Les prés du côté du ruisseau étaient en partie inondés. Et puis un beau jour, un gros coup de gel a figé toute cette eau et voilà une patinoire. Quelle aubaine et quelle belle glissoire cela nous faisait ! On s’y est tellement amusé un jour après l’école qu’on n’a pas vu la nuit tomber. Papa enfin un peu inquiet, a fait retentir son sifflet pour nous rappeler. Nos parents n’étaient-ils pas un peu trop insouciants ? Je me le demande parfois.

La neige pouvait être tellement abondante que les enfants du village voisin ne venaient pas à l’école. Sauf Fernand, qui avait bravé les congères presque aussi hautes que lui, et qui était présent, au grand étonnement de Papa. Fernand fut félicité, je m’en souviens.
Les chasse-neige passaient sur les routes dès le matin mais quand le vent souffle c’est toujours à recommencer. On l’a encore vu cet hiver.

Ma petite sœur est née un 12 mars et il y avait ce jour-là, tellement de neige, que l’accoucheuse n’a pu venir à temps. C’est Papa qui a aidé Maman à mettre son bébé au monde. Plus tard, quand il racontait l’événement, il précisait qu’il n’avait pas osé couper le cordon. Quand le médecin est arrivé, il a dit : Ce n’est pas difficile, regardez !

Un autre événement dont je n’ai pas le souvenir, mais que Papa racontait : Il y avait à Foy, mon village natal, un homme hémophile, Joseph. Un jour de grande neige, il dut se rendre à la clinique de Bastogne pour arrêter une hémorragie. Les routes n’étaient pas dégagées, ne nombreux voisins et amis furent mobilisés pour accompagner la voiture qui le conduisait et déblayer la neige à coups de pelles, devant les roues. De Foy à Bastogne, il y a 5 km. Papa disait qu’il y avait tellement de neige qu’on ne voyait plus la route. Joseph arriva à temps à la clinique. C’était cela aussi l’hiver en Ardenne, dans ces années-là.

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